Nous publions ci-après la lettre ouverte rédigée par l'écrivain tunisien Abdelaziz Belkhodja et adressée directement au ministre de la Défense nationale, Ghazi Jeribi. Lette ouverte à Monsieur Ghazi Jeribi, ministre de la Défense nationale Monsieur le ministre, les nominations des plus hauts cadres de l'armée tunisienne sont depuis longtemps sujettes à deux conditions, la tradition militaire du plus ancien gradé, arrangée avec une tradition tribale qui se résume en une petite phrase "un homme à nous". Cette tradition nous a menés là où nous sommes, avec une armée en proie au doute et qui butte sur quelques centaines de jihadistes, dans un combat qui n'est pas le sien. Si nous voulons sortir notre pays du danger terroriste, il faut reconsidérer ces deux questions : celle des critères de nomination et celle de l'inadaptation de l'armée au combat antiterroriste. CONTRE LE TERRORISME CE N'EST PAS DE L'ARMEE QUI EST COMPETENTE MAIS LA POLICE Bizarrement, aujourd'hui en Tunisie, c'est l'armée qui est chargée d'un problème qui n'est pas de sa compétence. En effet, le terrorisme relève - le plus logiquement - de la police et de ses institutions antiterroristes déjà établies depuis des décennies. Pour le renseignement, le ministère de l'Intérieur dispose des deux directions de l'antiterrorisme (Police et Garde Nationale) et au niveau de l'intervention sur le terrain, elle dispose de la BAT (intervention urbaine) et de l'USGN (intervention en zone rurale). Or, pour des raisons inavouées, ces institutions sont aujourd'hui mises à l'écart de la lutte antiterroriste; et nous nous retrouvons dans une situation loufoque où l'antiterrorisme est traité d'une façon complètement inadaptée, par l'envoi de soldat sous équipés et sous entraînés vers un combat perdu d'avance. Les raisons de ce choix? Je vous laisse le soin de les découvrir. Elles relèvent autant de la couardise que de la bêtise, en espérant qu'elles ne relèvent pas de raisons plus graves encore. L'URGENCE DE L'EFFICACITE Mais, considérant que vous êtes de facto, le responsable de la lutte contre le terrorisme, et que la question qui se pose aujourd'hui est celle de l'efficacité et non de l'inanité des choix qui ont été faits par vos prédécesseurs, votre choix du futur chef d'état-major de l'Armée de Terre devrait se faire non au sein d'un état-major dont les compétences sont inadaptées, mais au sein des officiers de l'Académie militaire, haute et prestigieuse institution dont plusieurs diplômés ont été formés pour ce genre de combat, qui jouissent des connaissances nécessaires de la guerre et du renseignement électroniques, des techniques de combat jihadistes, des armes intelligentes (3C) et des tactiques opérationnelles nécessaires pour débusquer les jihadistes. Beaucoup de ces officiers sont aujourd'hui au sein de la police, mais, pour des raisons incompréhensibles, elles sont tenues loin, organiquement et personnellement aussi, de leur affectation naturelle à la lutte antiterroriste. Si vous ne cherchez pas, Monsieur le ministre, à résoudre cette question de base en corrigeant une situation devenue inepte et complètement inadaptée à la défense de notre nation, si les hommes qu'il faut, et qui sont issus de l'Académie militaire tunisienne, ne sont pas nommés, au plus vite, dans les postes de décision militaire - pour inverser la tendance - les jihadistes continueront à narguer notre armée et à travers elle notre nation. Ils finiront d'ailleurs, comme leurs frères en Irak, par rallier une grande partie des Tunisiens qui ne verront plus, dans une armée incapable de les défendre, une institution digne de leur respect. Il est de votre responsabilité de bouleverser des traditions devenues caduques et extrêmement dangereuses, et de nommer les personnes idoines aux postes dont dépend l'avenir de notre pays. Avec mes respects Abdelaziz Belkhodja Source Rappelons qu'Abdelaziz Belkhodja est le fils du grand militant et ministre Hassen Belkhodja. Il est écrivain, éditeur, et ancien homme politique qui s'est retiré de la scène pour se consacrer à son métier d'auteur et d'éditeur, en travaillant notamment sur l'histoire de la révolution pour publier, fin mars 2013, 14 janvier, l'enquête.