Mohsen Marzouk aura été un phénomène marquant de la vie politique tunisienne, au moins cette dernière année où il aura vu de toutes les situations complexes et problématiques qu'un jeune cadre politique peut connaître au début de sa montée. On se souvient de ce militant enthousiaste exhibant son engagement aux côtés du fondateur de Nidaa Tounès et défendant son parti avec un air de rationalité assurée et avec une ironie acerbe, dans une physionomie narquoise à moitié sympathique et à moitié suspecte. Il était évident alors que l'homme avait trouvé sa voix et qu'il commençait à construire sa carrière dans la mouvance de cet engagement. Une fois Béji Caïd Essebsi à Carthage, M. Marzouk se retrouve au poste de conseiller personnel du président, « un deuxième Ben Dhia », disaient certains des adversaires des deux hommes. Au point de remplacer le ministre des Affaires étrangères, dont il avait convoité le poste avant d'atterrir au Palais, dans un voyage américain de haute facture diplomatique, allant jusqu'à signer un protocole au nom de son président pourtant sur les lieux. Il va sans dire que l'opération avait ses dessous et ses justifications, n'empêche qu'elle a fait couler beaucoup d'encre. Les choses se compliquent encore lorsque Marzouk quitte le Palais pour assurer le Secrétariat général de Nidaa Tunès, sous le nez du même rival apparent, Taïeb Baccouche. Rival apparent, ce dernier, parce qu'en ce temps-là, on ne prêtait pas assez d'attention à celui qui allait devenir le vrai rival, Hafdh Caïd Essebsi, le propre fils du président, soudain réveillé, de lui-même ou par un tiers, à l'intérêt d'une ambition politique de haute instance, dans le parti d'abord, puis dans l'Etat, pourquoi pas ! Il faut reconnaître que les deux premiers tiers de l'année 2015 furent ceux de Mohsen Marzouk, jusqu'à ces dernières semaines où la marmite semble changer de soupe et où la roue se met à tourner à rebours de son ancien parcours. Le fils du président prend alors une présence et une influence surdimensionnées pour certains. Ce n'est qu'un juste cheminement des choses, répond-on dans la partie d'en face, avec force rappel des qualités politiques de l'école où avait grandi celui qui, aujourd'hui, décide de sortir de l'ombre de son père et de jouer ses propres cartes. Pourquoi pas ? De la même question que j'avais posée, une fois, à propos de Mohsen Marzouk, dans l'esprit que toute ambition politique est légitime et dans l'ordre des choses. Peut-être conviendrait-il d'ajouter, dans le propre du jeu politique, humain ou inhumain ! Ce bras-de-fer émergeait à la surface avec des couleurs qui inquiétaient et des odeurs qui blessaient les narines, jusqu'à la réunion du bureau politique suivie, moins de deux jours après, par une réunion spectaculaire à Djerba. Spectaculaire surtout de par le partage qu'elle a laissé montrer entre les appuis respectifs de chacun des deux rivaux, bien que tous deux soulignant que tout était pour le mieux dans le plus fort des partis, Nidaa Tounès. Ce qui est advenu après, à l'ARP, pour le relai à la tête du groupe parlementaire du parti, n'est plus que dans l'ordre des choses et dans la juste stratégie qui a abouti à la déclaration de Mohsen Marzouk annonçant qu'il ne se présenterait à aucune responsabilité politique du Nidaa. On est alors étonné que le président sortant du groupe parlementaire précise que le Secrétaire général (il l'est au moins jusqu'au congrès) n'est pas maître de son destin et que d'ici là les choses peuvent changer. Il y a cependant une autre interprétation, après que Hafedh Caïd Essebsi, avec ou sans un coup de pouce, semble s'être assuré le leadership du parti, sans même un supplément de renfort de la famille destourienne qui n'avait jamais su trancher entre les deux clans. En effet, tout porte à croire que Mohsen Marzouk est bien parti pour un poste gouvernemental, auquel il a été initié par un maître chevronné. Son voyage, samedi 24 octobre en Amérique, un jour avant Rached Ghannouchi, constitue-t-il un signe annonciateur ? On ne tardera peut-être pas à le savoir.