L'habitude est une seconde nature. C'est ainsi que, procédant à ce qu'il a considéré comme une évaluation des « cinq années » de la post-révolution, Moncef Marzouki conclut son propos sur le site d'Al-Jazira, invectivant Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne, élu au suffrage universel. Disons-le d'emblée, loin de nous toute intention de défendre l'actuel président, qui reste fort critiquable sur plusieurs points et que les Tunisiens, médias et citoyens, gagneraient à critiquer franchement s'ils veulent asseoir solidement et durablement les fondements de leur démocratie naissante. Ce qui nous gêne ici, c'est qu'un ancien président de la Tunisie, même si ainsi promu par la grâce de 7000 voix dans la seule région où il pouvait les avoir en ce temps-là et grâce surtout à un parrainage diabolique d'Ennahdha, se livre à ses critiques dans un média étranger et suspect, par-dessus le marché, quant à ses intentions pour notre pays. C'est alors qu'on donne raison à Moncef Marzouki quand il dit que l'habitude est une seconde nature, dans l'équivalent arabe de la formule qui donnerait littéralement : « Quand on grandit sur un comportement, on vieillit avec, et quand on vieillit sur un comportement on meurt avec ». On lui donne raison donc parce que le dicton s'applique d'abord à M. Marzouki. En effet, M. Marzouki a pris l'habitude, comme certains de ses pairs, depuis le milieu des années 90 du siècle dernier et surtout depuis les années 2000, à ne critiquer le régime de Ben Ali que de l'extérieur pour justifier les faveurs et les retombées financières qu'il en tirait. D'ailleurs lui moins que les autres par le fait d'une frivolité à l'action qui le décrédibilisait sensiblement ; mais un de plus dans la mêlée, cela ne faisait pas de mal aux parrains. Aucune comparaison, de ce point de vue, avec Néjib Chebbi, Ahmed Brahim, Mohamed Ali Halouani, Hamma Hammami et même Mustapha Ben Jaafar, malgré leurs maladresses ou leurs erreurs. Ces derniers ont inscrit leur militantisme opposant dans la tunisianité inaliénable et en pleine Tunisie, malgré des difficultés certaines. Le pire dans tout ce que dit Moncef Marzouki, c'est qu'il ne reproche à BCE que ses propres « défauts » à lui. Ainsi, pour l'ancien président du CPR, Béji ne peut pas être le président de tous les Tunisiens du fait qu'il n'a pas réussi à être le président de tout le Nidaa. Aurait-on oublié que Marzouki n'a pas réussi à sauvegarder l'unité d'un tout petit parti (hors la considération de la respiration artificielle que lui avait insufflée par l'islamisme politique en 2011 et même en 2014), un parti rentré en Tunisie en 2011 avec trois ou sept personnes, de l'avis même des siens ? Le CPR a donc fini par éclater en un Courant démocratique et en un parti de la Fidélité, portant en lui l'accusation explicite d'une trahison, par le CPR, des valeurs et des principes de base. Au résultat, le CPR est officiellement dissous et son ancien président se débat dans un « Harak » difficile à s'épanouir et sonnant comme le souvenir des « Harki » d'une quelconque chaîne ou d'un petit pays. Marzouki reproche à BCE son appui à l'ancien régime (argument désormais obsolète sauf pour ceux qui sont en manque d'argumentation rationnelle et objective), et souligne que sans la révolution de 2011, il ne serait qu'un piètre avocat. Notons d'abord que cette révolution, qui a sans doute ouvert la voie à de nouvelles compétences tunisiennes certaines, a également ouvert largement la voie à Marzouki qui, sans elle, serait aussi ce qu'il avait été : un médecin réfractaire. Plusieurs Tunisiens savent les conditions de promotion de M. Marzouki au grade de chef de service, résigné à la médecine communautaire après l'impossibilité pour lui d'accéder à la neuro (Peut-être les générations futures auront-elles droit à des Mémoires probables de Souad Ouahchi). Personne n'oublie encore son soutien, fort justifié par ailleurs, à Ben Ali, écrits à l'appui, et jusqu'à 1991 date de son éjection, de l'intérieur d'abord, par la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme. Les gens du secteur sanitaire, à Sousse ou dans le ministère, doivent se souvenir encore (Peut-être faut-il, à ce propos, interroger M. Zbidi, devenu plus tard l'ennemi juré du président provisoire dans le gouvernement de la troïka) des infractions administratives commises par provocation afin de se faire un profil d'opposant professionnellement harcelé. C'est à rappeler un autre dicton de chez nous, dont la substance signifierait : « On ne peut pas prétendre à une nouvelle virginité tant que les vieux du quartier sont encore vivants ». Nous n'aurions pas rappelé ces détails si Marzouki n'avait pas situé le débat hors de son lieu naturel et de son propos justifié. S'il veut donc continuer à faire de la politique, du point de vue de la pure citoyenneté, il devrait le faire ici, en Tunisie, même dans son Harak peu certain, plutôt que de reconduire une politique de Harki ailleurs et plus pour les gens de cet ailleurs que pour les gens d'ici.