Malgré les difficultés rencontrées depuis le 14 janvier 2011, les investisseurs français confirment leur engagement en Tunisie et y voient leur avenir en rose. «La Tunisie sera capable de surmonter rapidement les défis auxquels elle sera confrontée au cours des prochains mois». A l'image de Fouad Lakhoua, président de la Chambre tuniso-française de commerce et d'industrie (CTFCI), les responsables tunisiens n'ont pas eu beaucoup de mal, quatre mois après la chute du régime de Ben Ali, à convaincre les investisseurs étrangers à ne pas quitter le pays. Malgré les nombreux problèmes rencontrés -grèves, revendications salariales, dégâts matériels occasionnés par des actes de sabotage, vols, difficultés logistiques, etc.- depuis le 14 janvier 2011, ces entreprises gardent le moral et une confiance intacte dans le site tunisien. Le séminaire sur «la nouvelle dynamique des échanges franco-tunisiens», organisé mercredi 11 mai 2011 à Paris par la CTFCI, dirigée par le tandem Fouad Lakhoua (président) et Habib Gaïda (directeur général), et la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) en a apporté la preuve. Sans occulter les difficultés, tous les intervenants français, à commencer par ceux du gouvernement, ont été unanimes à voir plutôt le bon côté des choses. «Pour les Français, la révolution tunisienne est une chance et ne fait pas peur», clame Cyrille Rogeau, sous-directeur Afrique du Nord au ministère des Affaires étrangères et européennes. «Les nouveaux défis (auxquels la Tunisie est confrontée, ndlr) sont considérés comme des opportunités de développement et de croissance», confirme Jean-Claude Karpelès, délégué du président de la CCIP chargé du développement international et des affaires européennes. Un son de cloche auquel les chefs d'entreprise tricolores basés dans différentes régions de Tunisie font écho. Norbert de Guillebon est l'un d'entre eux. Directeur général de Cotusal, Groupe Salins, il se félicite d'abord de pouvoir «parler aujourd'hui sans risque de représailles». Mais ce président de la section Tunisie des CCEF (Conseillers du commerce extérieur de la France) rappelle surtout que «les entreprises françaises sont restées parce qu'elles ont vu que les choses se passent de manière supportable» et qu'«aucun intérêt français et plus largement étranger n'a été visé». De ce fait, s'il y a eu dégâts, ils ont été «collatéraux» et ont été d'autant plus minimes qu'«il y a eu une implication générale des collaborateurs dans la préservation de l'outil de travail». Investisseurs et gouvernement français apprécient également «l'efficacité et la rapidité avec lesquelles le gouvernement intérimaire a réglé les problèmes posés», se félicite Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, chargé du Commerce extérieur. Cet originaire de Tunisie, comme il l'a rappelé, relève que «dans l'histoire, il y a peu de révolutions aussi bon enfant et économiquement bon marché» que la révolution tunisienne. Du côté français, on s'est au début inquiété un peu pour la situation et l'avenir des entreprises dans lesquelles des membres de l'entourage de Ben Ali et de Leila Trabelsi détenaient des participations confisquées. Finalement, ces craintes se sont dissipées après les explications et les assurances données par les autorités tunisiennes. Ces dossiers feront l'objet d'un «règlement juridique au cas par cas, qui va commencer dans les six mois», note Jacques Torregrossa, directeur de l'antenne d'Ubifrance en Tunisie. «A part l'agitation sociale c'est extraordinaire- il ne s'est rien passé. Il n'y a pas eu de drame. Certes, on a eu un quotidien pas facile, mais dans la gestion des entreprises, rien n'a changé», résume Hédia Kchouk, gérante d'Adecco Tunisie. Une entreprise qui «n'a jamais eu autant de demandes de recrutement que ces derniers temps». En outre, à l'exception des 41 entreprises qui ont fermé dont 19 françaises-, l'activité ne s'est arrêtée dans la plupart des cas que pendant quelques jours. «En trois mois, elle est revenue à son niveau quasi normal», relève Abelhamid Triki, ministre de la Planification et de la Coopération internationale. C'est d'ailleurs pour cette raison que «bon nombre d'entreprises étrangères, y compris françaises, ont fait beaucoup d'efforts pendant les moments les plus difficiles pour calmer leurs maisons-mères et ont accepté un surcoût en optant pour l'aérien pour l'exportation de leurs produits au moment des grèves dans le maritime», souligne le membre du gouvernement intérimaire. Même les revendications salariales, sur fond de grèves, qui se sont exprimées dans bon nombre d'entreprises n'ont pas inquiété ou gêné les managers outre mesure. «Les partenaires sociaux ont fait preuve d'une grande maturité», observe Férid Tounsi, p-dg de l'Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation (APII), en faisant remarquer que l'augmentation projetée va se situer aux alentours de 5% réclamés par l'UGTT et les 3,5% offerts par le gouvernement et non pas de 15% comme le colportait la rumeur publique. «Les augmentations demandées ont été tout à fait raisonnables», confirme, de son côté, M. Lellouche. Idem pour l'épineuse question de l'utilisation des intérimaires qui ne devrait finalement pas constituer un obstacle insurmontable. Bien que les partenaires sociaux c'est-à-dire l'UGTT- s'acharnent sur cette question qui constitue «leur fonds de commerce», un dialogue a finalement pu être noué. D'ailleurs, révèle Bruno de Cazelet, avocat à Gide Loyrette Nouel, le ministère des Affaires sociales «travaille à l'élaboration d'outils en vue de maintenir la flexibilité de l'emploi malgré la montée en puissance des syndicats». Bref, tout en continuant à suivre attentivement l'évolution de la situation, responsables et opérateurs tunisiens et français préparent déjà un avenir qu'ils considèrent prometteurs. D'autant qu'ils s'attendent, comme M. Torregrossa, à voir de «plus grandes opportunités sur le marché domestique puisque les industriels tunisiens», qui craignaient auparavant de voir leurs projets confisqués par l'entourage présidentiel, «se lâchent aujourd'hui». Des opportunités parmi lesquelles de «grands projets immobiliers, touristiques et d'infrastructures, entrepris par des investisseurs du Golfe en particulier qui «ont tous confirmé leur engagement», observe M. Habib Gaïda, directeur général de la CTFCI. Mais l'intérêt pour la Tunisie pourrait enfin croître parce qu'on va voir «s'instaurer plus de transparence et de concurrence loyale, alors que par le passé les appels d'offres étaient distribués au Palais de Carthage», insiste le directeur d'Ubifrance Tunisie.