Rarement une conférence nationale réunissant partis politiques, représentants de la société civile et des régions intérieures, personnalités indépendantes et syndicalistes de tous bords aura été aussi unanime. Cohérente. Enthousiaste. Face à l'intimidante hauteur de vue du locataire du Palais de la Kasbah. Dont l'obsession, depuis la formation de son gouvernement, au mois de mars 2011, est de prendre de la hauteur. De retrouver de la profondeur stratégique. De sortir du champ partisan. De dominer le quotidien. De s'adosser aux avantages d'une stratégie de mouvement. Sans antagoniser quiconque. Sans subir l'usure et les avanies du traitement des affaires courantes. Finalement, au Palais des Congrès, personne ne jettera la pierre au Premier ministre. Qui a l'art des grands épéistes. Qui sait des choses et sait les taire. Qui s'est lancé dans des analyses limpides et lucides. De la situation nationale et internationale. En contraste avec la balourdise idéologique. Des uns et des autres. Raisonnant en termes de compromis. D'alliances. De realpolitik. Eh oui ! Le temps passe vite en politique. Hier encore mal-aimé et contesté, le voici aujourd'hui légitimé. Au cur du consensus. Lié à la date du 23 octobre 2011, qui verra la faune politique faire les yeux de Chimène aux Tunisiens. Aller à la pêche aux votes. Aux dons. Afin d'imprimer sa marque. De s'affirmer dans le tournoi des idées. De mettre le pied à l'étrier. D'honorer le verbe militer. D'encenser le verbe être. D'engager la bataille résurrectionnelle. De prendre d'assaut les sièges de la Constituante. D'amadouer les curs des électeurs. Mais comme en amour, les preuves seront toujours à faire. Car le pays, me dit un confrère, visiblement réconforté devant une salle pour une fois à l'unisson, a besoin de repères, de retrouver un rapport au temps et de remettre de la chronologie dans une société postrévolutionnaire marquée par «la dictature de la transparence et du présentisme». «Le gouvernement de transition qui prend, avec une philosophie stoïque, des coups que les hommes de terrain sont là pour prendre, entend continuer à coopérer et à dialoguer avec toutes les composantes de la société civile, les partis politiques et les instances issues de la révolution, sans pour autant brader ses prérogatives ou mettre en péril les équilibres macroéconomiques du pays, mis à mal depuis des mois à cause des grèves périodiques, des sit-in incessants, des revendications anarchiques et des conséquences désastreuses des événements sanglants de la Libye sur la situation sécuritaire et économiques du pays», déclare d'emblée Béji Caïd Essebsi, qui appelle les élites politiques, associatives et syndicales du pays présentes au grand complet au Palais des Congrès, dans un élan de responsabilité et de maturité indéniable, à éviter les bras de fer verbaux, à s'abstenir à s'enfermer dans l'interpellation du gouvernement comme si c'était toujours lui qui commandait à tout et aux astres et à apprendre au peuple, durant les quatre mois à venir, à se contraindre, à prévoir et à resserrer les rangs autour des intérêts vitaux de la nation dans un contexte régional et international de plus en plus tendu. Tout au long de son intervention, le chef du gouvernement de transition, pour qui un homme d'Etat doit se faire aimer par les pierres mêmes, a rappelé le rôle avant-gardiste de la révolution du jasmin dans le monde arabe, les atouts de la Tunisie pour devenir un pôle des droits de l'homme dans la région, le lieu où l'islam politique donnera la preuve de son adhésion aux valeurs universelles liées à l'alternance, à la démocratie et aux libertés individuelles, l'obligation de se dresser contre les défis inhérents aux enjeux démocratiques en cours et la disponibilité des partenaires traditionnels du pays, exprimée d'ailleurs d'une manière solennelle au sommet du G8 à Deauville, de se tenir aux côtés des Tunisiens dans cette période transitoire, généralement un champ fertile pour la société médiatique, les doléances sociales, les surenchères politiques, les lobbyistes organisés et les agents d'influence.