La chasse aux statistiques commence. Après que le ministère des Affaires étrangères a annoncé un taux de pauvreté de 24,7%, l'Institut National de la Statistique répond pour dire que ce chiffre est loin de la réalité. Une réalité qui serait moins noircie avec un taux de pauvreté extrême de 3,8% et de pauvreté supérieure de 11,5%, selon les statistiques de 2005. Des chiffres très anciens, diriez-vous. Certes. Mais Habib Fourati, directeur central des statistiques démographiques et sociales à l'INS nous informe qu'un sondage sur la consommation familiale est en cours de finalisation et qui devra aboutir à des résultats plus récents et plus fiables. Il a démarré en juin 2010 et devrait être achevé à la fin de ce moins et concerne un échantillon de 13.392 familles. Il faudrait attendre quelques mois encore pour avoir les résultats. Pauvreté extrême Le chiffre annoncé par le ministère des Affaires sociales se serait basé sur le nombre des bénéficiaires des mesures d'assistance sociale offertes par le ministère tels que les cartes gratuites de soin ainsi que les autres cartes à tarif réduit. Il s'est basé également sur le nombre des familles bénéficiaires des subventions de pauvreté, des programmes de retraite et autres programmes sociaux. Lors d'une conférence de presse organisée le 15 juin 2011, M. Fourati a souligné que les données de l'INS seraient plus fiables puisqu'elles reposent sur un travail de terrain. Le seuil de pauvreté a été calculé selon la méthodologie de la Banque mondiale qui s'appuie sur deux niveaux du seuil de pauvreté. Le premier concerne la pauvreté extrême dans laquelle vivent 400 mille Tunisiens déjà en 2005. Le deuxième concerne le seuil de pauvreté supérieure dans laquelle vivent 1,2 million de Tunisiens. Par régions, ce taux s'accentue au niveau du centre-ouest, soit 12,8% vivant dans la pauvreté extrême, suivi par le sud-ouest (5,5%), le sud est (3,8%), le nord-ouest (3,1%), le nord-est (1,4 %) et le centre-est (1,2%). L'indicateur génétique qui mesure la distribution de la richesse dans un pays donné est de 40% pour la Tunisie, un taux assez élevé qui a augmenté davantage entre 2000 et 2005, selon le responsable de l'INS. Confusion Pour ce qui est du taux de chômage, la méthodologie de calcul fait débat. S'alignant sur les standards du Bureau International de Travail, elle considère comme chômeur la personne qui n'a pas travaillé durant la semaine précédent l'interview, le chercheur de travail durant le mois précédent et celui qui affirme sa disponibilité pour trouver un travail durant les deux semaines après l'interview. On y a ajoute un autre critère qui prend en compte le chômeur à la recherche active d'emploi, soit par inscription au bureau d'emploi ou par l'envoi de demandes d'emploi, etc. La prise en compte de cette méthode depuis 2005 a permis d'abaisser le taux de chômage de 14,1% à 13%, soit 50 mille chômeurs de moins. Un constat qu'on considère comme décalé de la réalité sociale où un bon nombre occupent un travail saisonnier, provisoire ou ouvrier; ils sont donc dans la précarité puisqu'ils vivent au jour le jour et n'ont pas de travail stable. Ceci ne risque pas de porter préjudice aux programmes gouvernementaux, lancent les journalistes présents? Et M. Fourati de répondre: «Nous suivons cette méthodologie parce qu'elle nous permet de coller aux standards internationaux et de nous comparer avec les autres nations similaires. Elle est d'ailleurs appliquée dans tous les pays développés». Il ne s'agit donc point de changer de méthodologie. M. Fourati affirme également qu'aucun chiffre sur le chômage n'a été produit après le 14 janvier 2011. D'ailleurs, un sondage a été lancé le 5 avril dernier et devrait s'achever le 22 courant. Les résultats seront divulgués au mois de juillet ou plus tard en août. Il concernera 60 mille familles, soit 240 mille personnes. Réticence et méfiance Concernant les chiffres annoncés par le ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle, soit 700 mille diplômés chômeurs en 2011, le responsable de l'INS semble hésiter sur sa véracité. Il indique qu'un sondage réalisé en avril et juin 2010 a recensé 429 mille diplômés chômeurs, un chiffre qui n'a pas pris en compte éventuellement les nouveaux diplômés, dont le nombre est estimé à 80 mille chaque année. Ceci constitue une confusion au sein de l'opinion publique pour vérifier la crédibilité des chiffres de part et d'autre. Faudrait-il alors se méfier des chiffres déclarés par les ministères? Il est vrai que certaines statistiques n'étaient pas divulguées, par ordre de l'ancien régime, lequel on accuse de les manipuler. Mais est-ce le cas aujourd'hui? On reproche encore à l'INS, qui détient le monopole des statistiques dans le pays, d'être réticent à livrer les statistiques même aux institutions gouvernementales qui en ont besoin fortement dans cette période cruciale mais aussi aux chercheurs et aux journalistes pour qui elles constituent un document de travail précieux. N'est-il pas temps pour l'INS de dissiper cette réticence et d'éviter de provoquer la méfiance des uns et des autres face à ces chiffres? Il paraît que l'institut voudrait développer sa communication avec les médias en annonçant la mise en place d'une unité de communication et le lancement de campagnes de sensibilisation Aspect juridique On nous informe qu'un décret sera publié durant la semaine du 20 juin 2011. Il stipulera plus de souplesse dans l'accès aux informations statistiques officielles. De même, l'INS aura préparé une stratégie pour faciliter l'accès par Internet aux données descriptives. On prévoit de créer un centre d'accès aux données individuelles et on annonce que l'institut travaille sur le côté juridique. Le fait est que la loi sur les statistiques, héritage de l'ancien régime, interdit la divulgation de ces données même aux ministères et à la Banque mondiale. D'ailleurs, des employés de l'institut ont publié un communiqué où ils dénoncent cette attitude, appelant à plus de transparence. Mais M. Fourati semble déterminé et affirme que toutes les statistiques sont vraies depuis la création de l'institut. «Nous ne servons pas un régime mais nous servons un Etat!», lance-t-il.