Le cap dangereux a-t-il été vraiment franchi pour l'économie du pays, comme l'a affirmé Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la BCT à la rencontre vendredi 8 juillet, organisée par l'UTICA et intitulée "Les entreprises et les banques après la révolution"? Apparemment, le son de cloche de M. Nabli ne correspond pas à celui des entrepreneurs qui déplorent une passivité de l'Etat face aux problèmes endurés par l'entrepreneuriat et un manque de réactivité décevant. Assez de politique et place à l'économie! Cela doit être aujourd'hui un leitmotiv pour un pays qui ne peut réussir son passage de la dictature à la démocratie sans un plan de sauvetage efficient pour son économie. «La réussite d'une économie est tributaire, entre autres, d'un concours d'efforts et de partenariats entre ses différents opérateurs, et en particulier la banque, le principal financier et l'entreprise, moteur de l'économie», a déclaré Wided Bouchammaoui, présidente de l'UTICA, qui ajoute plus loin qu'"aujourd'hui, nous sommes confrontés à certains obstacles qui risquent de retarder encore notre relance économique ». L'économie mérite d'avoir la priorité dans la prochaine phase, estime, pour sa part, le gouverneur de la BCT, et ce pour plusieurs raisons. Lors de la première moitié de l'année, les priorités du pays se rapportaient à la sécurité et à la politique. Aujourd'hui, l'économie doit occuper la place qui lui revient car c'est le succès du processus économique qui déterminera la réussite du processus politique du pays. Les politiques en sont d'autant plus convaincus. L'emploi, le coût de la vie, le développement régional, l'investissement sont des questions qui doivent être traitées comme il se doit pour éviter le dérapage du mouvement démocratique qui risque gros en la matière. Les priorités pour les prochains mois tournent autour de trois axes, à savoir la nécessité de bien réagir aux indicateurs négatifs de croissance affichés depuis le début de l'année (-3,3% de taux de croissance pour le premier trimestre 2011) et la préservation du tissu économique. Car, estime le gouverneur de la BCT, à la veille de la révolution, l'économie s'est effondrée. Il fallait agir sur le recul économique et sauver les meubles. Les mesures les plus importantes ont été la facilitation des financements et l'injection de liquidités sur le marché bancaire et financier. «Nous renforcerons cette tendance». Mais il ne faut pas rester sur la défensive, il faut passer à l'offensive, conseille M. Nabli. «Dans la prochaine phase, il faut soutenir les indicateurs positifs qui commencent à prendre forme. Nous sommes dans une révolution politique dont le but est de construire un régime démocratique qui devrait développer la bonne gouvernance en Tunisie et mettre fin aux pratiques de la corruption, malversations et passe-droits. La transparence politique et économique, la responsabilisation des décideurs et leur intégrité sont des éléments importants. Les nouvelles pratiques que le pays ambitionne devraient améliorer considérablement le climat d'affaires et d'investissement. Le nouveau régime a le devoir de mettre en place un climat d'affaires adéquat qui encouragerait l'investisseur ainsi que le porteur de projets à prendre des risques sachant qu'il a toutes les chances de réussir». Un climat d'investissement en régression Le climat d'investissement, qui a régressé ces derniers mois au vu du manque de visibilité et de l'instabilité sociale et sécuritaire, conjugué à la guerre en Libye, doit être amélioré. Les entrepreneurs doivent avoir assez d'audace et de courage pour prendre des décisions d'investir en cette période précise. «Il faut reprendre confiance et parier sur ce passage à la démocratie encore balbutiante. Il est vrai». Il va falloir anticiper, estime le gouverneur de la BCT, et avoir une vision d'avenir au niveau de tous les secteurs. Il est remarquable que l'entrepreneuriat ait bien réagi durant cette période et que le financement de l'économie n'ait pas souffert de la conjoncture. Tout au contraire, les chiffres indiquent que les prêts à l'économie ont augmenté de 7% pour les 5 premiers mois de l'année, pratiquement le même taux que celui de l'année dernière (7,3%) en pareille période. On s'attend par ailleurs à ce que ce taux arrive à 17% d'ici la fin de l'année. «Ceci n'aurait pas pu marcher si les institutions bancaires n'avaient pas joué le jeu et s'étaient comportées de manière protectionniste. Nous savons pertinemment que les crédits ont servi à payer les impayés et des dus. 2,5 milliards de dinars ont été accordés depuis janvier, dont 40% pour couvrir les impayés, les 60% restants de nouveaux crédits à l'économie». Hichem Elloumi, membre du bureau exécutif de l'UTICA et opérateur dans le secteur des composants automobiles, n'est pas aussi optimiste que le gouverneur de la BCT. Il brosse un tableau plutôt noir de la situation du secteur privé: «700.000 chômeurs déjà, un chiffre qui risque de s'accroître avec les nouveaux diplômés mis sur le marché de l'emploi. Les investisseurs étrangers perdent pied et s'inquiètent. Les constructeurs automobiles demandent à leurs équipementiers de mettre en place un plan B pour, le cas échéant, changer de site de production». Les entreprises, affirme M. Elloumi assureront leur rôle, encore faut-il que l'Etat réagisse rapidement à leurs revendications telles les indemnisations des entreprises sinistrées, la garantie de la sécurité et l'association des entreprises aux grandes décisions. «Les mesures d'amnistie des chèques sans provision mises en place sont catastrophiques tout comme le décret-loi concernant l'organisation du métier d'avocat». Les régions sont, d'autre part, mal informées sur les mesures prises pour les soutiens aux entreprises et leur indemnisation. «Nous avons dû prendre sur nous, à l'UTICA, de faire des photocopies des décrets d'application et de les envoyer aux régions. Ce n'est pas normal, 6 mois depuis la révolution, des milliers d'emplois perdus et d'autres menacés et l'Etat prend son temps alors qu'en période de crise, la réactivité est essentielle!», invective Hichem Elloumi qui donne l'exemple du secteur automobile dans lequel il opère. «Dans notre métier, les constructeurs délocalisent au bout de deux jours d'arrêt de travail». Yazaki pense déjà à se réimplanter en Turquie et au Maroc. Certaines entreprises signent des accords avec les syndicats sous la menace et en l'absence de sécurité. «Nous avons été patients pendant 6 mois parce que nous prenions en considération la situation du pays. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus continuer, notre moral est à zéro et l'Etat doit prendre position pour nous soutenir. Nous avons travaillé dans l'insécurité et au plus fort de la révolution pour assurer à l'international, et nous avons continué à payer nos employés. Nous méritons un meilleur traitement». Le rôle des banques est essentiel pour sauvegarder les entreprises en difficulté. Il faut que les schémas de financement de ces entreprises soient bouclés et que l'Etat y participe pour éviter de nouvelles pertes d'emplois, décrète M. Elloumi. A bon entendeur