Il s'agit d'une première sortie en public. Le Centre de réflexion stratégique pour le développement du nord-ouest (CRSDNO) a tenu sa première conférence annuelle, ce 23 juillet 2011 au siège de l'UTICA, sur le thème qui rime avec le contexte actuel: «Transition démocratique et développement régional». De part son nom, le Centre se veut un think tank qui rassemble d'éminents experts tunisiens dans les domaines économique, politique et/ou juridique. M. Kamel Ayadi, président-fondateur du centre, n'a pas manqué de mettre le point sur la situation dans la région du nord-ouest. Un indicateur alarmant, selon lui, résume la situation. «Entre 1975 et 2004, la population au niveau national a été multipliée par 1,77 alors que celle du nord-ouest ne l'a été que de 0,8. C'est la seule région répulsive de toute la Tunisie, avec un taud de croissance démographique en baisse depuis 1975. La croissance démographique est négative et la région connaît un appauvrissement au niveau de ses ressources humaines. Ceci est un phénomène alarmant. En contrepartie, le taux de chômage est élevé et avoisine dans certaines localités les 40%, soit trois fois la moyenne nationale», lance-t-il. D'où la vocation du centre qui est de contribuer par la réflexion à la question du développement. On apprend qu'il est doté de structures régionales, servant de relais dans chacun des quatre gouvernorats du nord-ouest. M. Ayadi tient à préciser que le nouvel organisme n'est pas une duplication des structures qui existent déjà, dans le secteur privé ou la société civile. «Nous n'avons pas l'intention de nous substituer à ces structures ou à fonctionner comme un bureau d'études. Notre objectif est de créer une plateforme de réflexion pour débattre librement des choix économiques et des programmes de développement», ajoute-t-il. Vision à long terme Cette première conférence n'était pas seulement une rencontre pour faire connaître le Centre mais aussi pour présenter des propositions sur la problématique du développement régional en Tunisie. Ce que Chedly Ayari, enseignant universitaire et ancien ministre sous l'ère Bourguiba et aussi membre fondateur du Centre, a fait parfaitement. Un programme qui pourra faire l'objet d'un document de travail. Pour lui, le développement régional ne peut pas se concevoir sans une approche à long terme qui a pour fondement l'économie et le développement durable dans le sens d'une distribution équitable des richesses. Une approche qui nécessitera la mise en place d'un plan stratégique pour la période 2012-2022 et aussi exposer les régions aux grands projets. Pour le volet financement, M. Ayari indique que le système mis en place sous l'ancien régime ne favorisait pas le développement régional: des financements qui ne correspondent pas aux besoins, des sources de financement non coordonnées, une centralisation rétrograde et des critères de distribution non équitables. «Une approche misérabiliste qui s'inscrit dans une optique de sauvetage», lance l'expert. Selon lui, l'Etat seul ne peut pas promouvoir les régions intérieures. «Ses marges de manuvre budgétaires sont très faibles voire nulles. Ajoutons à cela que le travail régional nécessite une rapidité dans l'exécution alors que le système administratif ne le permet pas», estime-t-il. Il propose de donner plus de facilités par la création d'un fonds spécial de trésor sous supervision du Premier ministère. D'un autre côté, il considère que l'Etat n'est pas un expert dans l'économie de production, ce qui fait qu'il a besoin d'un partenariat avec le secteur privé. «Son rôle ne doit pas se substituer à un actionnaire ou à un créancier. Il devient «stakeholder» (partie prenante) des projets régionaux. Il doit avoir un avis dans la planification, l'application, la gestion et le suivi des projets. C'est une révolution culturelle qu'il faut travailler», estime M. Ayari. Pour ce faire, il faudra réformer le système des incitations au profit du secteur privé, tout en sensibilisant à investir davantage dans les régions. Il s'agit aussi de focaliser sur le rôle du marché financier comme source de financement parmi d'autres. M. Ayari propose aussi d'améliorer le risque d'investissement régional. Démocratie citoyenne D'un autre côté, il s'agit de mettre l'accent sur la bonne gouvernance au niveau des structures régionales en sa relation avec le ministère du Développement régional, qui doit constituer le fondement d'une démocratie citoyenne à petite échelle. Ceci requiert, tout d'abord, le transfert de la tutelle du développement local du ministère de l'Intérieur au ministère du Développement régional et transférer ce dernier au Premier ministère. Il s'agit également de créer des conseils municipaux qui répondent aux demandes des citoyens et qui soient capables de réaliser leurs engagements. M. Ayari indique qu'il est impératif de créer un système fiscal régional à même de permettre aux conseils régionaux de percevoir des impôts indirects et d'avoir des ressources financières propres. Il propose aussi la révision des schémas d'aménagement, pour les inscrire sur le long terme. Une démarche qui sera possible grâce à une nouvelle division du territoire national selon un système de pôles économiques et non pas de gouvernorats. Il faut y ajouter la mise en place d'une politique de décentralisation efficace et équitable dans la répartition des services administratifs et des entreprises publiques ainsi que l'amélioration de l'infrastructure régionale. Des propositions qui ne manqueront pas d'être prises en considération par le gouvernement provisoire, vue la présence du ministre du Développement régional à la conférence. Dans le contexte actuel de transition politique et sociale aussi, la Tunisie a impérativement besoin de ses compétences pour concevoir des approches efficientes de développement. Le gouvernement actuel, provisoire qu'il est, ne peut à lui seul donner une réponse tangible à la question du développement régional ou autre. La Tunisie ne peut s'appuyer que sur ces ressources humaines pour concevoir un avenir meilleur et établir les fondements d'une réconciliation nationale.