L'image est inouïe. Celle du nouveau chef du gouvernement assis au palais de La Kasbah avec le drapeau tunisien derrière, répondant aux questions de deux journalistes de la télévision nationale. L'image est inouïe, car il s'agit de Hamadi Jebali, ex-détenu et leader du parti Ennahdha, qui, il y a seulement 11 mois, était «personne non fréquentable» et sous surveillance policière. C'est une des images de cette année 2011, année inoubliable et particulière de l'histoire de la Tunisie indépendante. Notre pays a vécu au cours de cette année une révolution qui commence à donner ses premiers fruits, après des bouleversements gigantesques dont personne n'a soupçonné l'ampleur les premiers jours de janvier 2011 Les Tunisiens ont commencé par vaincre leur peur. Cette peur, qui a fait régner la terreur de Ben Ali et sa famille pendant 23 ans, a été balayée en l'espace de 23 jours, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Les Tunisiens ont alors découvert que quand un peuple décide de se forger un destin, nul ni personne ne peuvent l'arrêter (dixit Abou el Kacem Chebbi). Les policiers de Ben Ali, tous corps confondus, les sbires du parti au pouvoir RCD et leurs hordes d'indicateurs et la multitude de cellules destouriennes qui quadrillaient le pays n'ont pas résisté à toute la haine accumulée et toute la volonté érigée en un slogan; un slogan dur et ferme devenu l'adage du monde: «DEGAGE!». En découvrant la liberté, ce beau matin du samedi 15 janvier 2011, les Tunisiens n'en revenaient pas de leur audace. La fuite éhontée de Ben Ali et de son clan a encore enfoncé le clou. Mais en même temps, les Tunisiens ne perdaient pas leurs repères et ils étaient nombreux et très nombreux même à aller travailler normalement le lundi 16 janvier, comme si de rien n'était. Et entre autres images de cette année 2011, les choses se sont organisées d'elles-mêmes. L'absence d'une direction de la Révolution a sauvé la Révolution. Il y eu ensuite l'épreuve de deux gouvernement Ghannouchi. Du 14 janvier jusqu'au dimanche 4 mars, nous avons mal supporté les visages cirés de l'ancien régime, et pour ça, il y eu Kasbah 1 et ensuite Kasbah 2 qui ont fini par obliger Ghannouchi à la démission Les Tunisiens se sont découverts! Ils ont non seulement destitué un dictateur mais en plus ils ont fait tomber deux gouvernements en l'espace d'à peine deux mois. Une autre image de 2011, Viva La Révolution! Après l'arrivée de BCE et son style patriarcal à la Bourguiba, nous nous sommes dit qu'il va falloir se calmer un peu quand même! Et nous avons inventé le must à cet effet un Parlement qui n'en est pas un et qui fait office de Parlement sauf qu'il n'est pas élu mais adoubé: la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution Le feuilleton de l'Instance Ben Achour nous a tenu des soirées entières et a été, pour la plupart des Tunisiens, un très bon échauffement pour le futur démocratique escompté L'Instance Ben Achour a eu des hauts et des bas dans sa courte existence, mais c'est elle et le gouvernement BCE qui nous ont offert l'indispensable ISIE (Instance Supérieure Indépendante des élections) sans laquelle rien n'aurait pu finir Vient alors l'une des images inoubliables de cette belle année 2011, celle de la journée du 23 octobre où des millions de Tunisiens se sont déplacés, certains pour la premières fois de leur vie, pour aller vote la deuxième Constituante de notre histoire. Une journée que certains Tunisiens ayant combattu Bourguiba et Ben Ali ne croyaient pas pouvoir vivre et s'attendaient à mourir assoiffés de liberté, assoiffés du bonheur d'être tout simplement citoyens 2011, ce sont également les moments de bonheur de la tenue de la deuxième Constituante, des moments solennels comme celui où les élus du peuple s'agglutinent dans de cette Assemblée nationale qui n'avait jamais été bien élue jusqu'ici, ou comme ce moment où Mustapha Ben Jaafar appelle à la tribune Maya Jeribi, qui vient de le concurrencer pour le poste de la présidence de l'ANC, pour la remercier la féliciter. Il y a eu des images très belles en 2011 et nous les garderons en mémoire pour nous et pour les enfants de nos enfants comme les points forts de la naissance d'une nation. Il y eu également des moments très durs et très douloureux. Les moments où à Sidi Bouzid, à Bouzaiene, puis à Kasserine, à Thala, à Douz, à Tunis et ailleurs, des martyrs sont tombés par les cartouches de flics criminels qui obéissaient à des ordres criminels. Il y a eu aussi d'autres moments douloureux certes, mais la mémoire de l'homme est sélective, heureusement et nous sommes heureux de nous rappeler en cette fin d'année 2011 les images et les moments les plus beaux.