Par Jamal MKADA* Ce sont les deux fameux leitmotive ressassés par les deux dirigeants des partis politiques actuellement représentés au gouvernement provisoire‑: un vide politique qu'il faut vite combler pour le bien de la Tunisie et un marasme ou une dérive économique qu'il faut éviter le plus rapidement possible, pour le bien, ici aussi, de la Tunisie. C'est archifaux‑! Le 15 janvier 2011, il n'y avait ni vide politique ni marasme économique. Ce qu'il y avait, c'était un président mafieux en fuite, un régime policier et dictatorial vacillant et, surtout, une révolution populaire victorieuse, du moins jusqu'à cette date historique. Ajoutons à cela un RCD désemparé, effrité, méconnaissable ou, comme l'a justement qualifié une de ses figures les plus notoires, «fini». Qu'est-ce que tout cela veut dire‑? Cela veut tout simplement dire que le champ est désormais libre pour toutes les autres forces politiques du pays d'entrer enfin en scène et de voir la possibilité de mettre fin, de manière radicale et définitive, à plus de 50 ans de dictature. Une chance inouïe, en effet, le rêve de tout un peuple. Mais il fallait, ce 15 janvier 2011, barrer, coûte que coûte, la route au Premier ministre de Ben Ali qui s'est empressé de former à la va-vite ce qu'il a appelé un gouvernement d'union nationale composé de 14 figures du régime vacillant du président fuyard et de, tenez-vous bien‑!, deux dirigeants de l'opposition (le dirigeant du Pgdtl, Mustapha Ben Jaâfar, s'est vite ressaisi) et de dirigeants syndicalistes (qui ont, à l'instar de M. Ben Jaâfar, renoncé). Les deux dirigeants politiques en question sont restés, eux, au gouvernement et ont siégé aux côtés des Feriaâ (nommé ministre de l'Intérieur par Ben Ali Baba), des Grira, etc., sans être dérangés le moins du monde. Et c'est là que réside le nœud du problème car ce «couple» d'ex-opposants au régime de Ben Ali ne se doute pas qu'il cautionne et, par là même, légitime ce même régime qu'il a prétendu combattre durant des décennies. Ils ont qualifié, et qualifient toujours, Ben Ali comme étant un tyran. Alors, comment peuvent-ils «travailler» avec les ministres de ce tyran‑? Comment vont-ils participer à la construction d'une Tunisie démocratique tout en collaborant avec des personnages qui, il y a à peine deux mois, étaient au service, corps et âme, du tyran ? La raison‑? Elle est toute simple pour eux : pour combler le vide politique et parer au marasme économique dans lesquels pouvait sombrer la Tunisie ce 15 janvier 2011. Encore une fois, c'est faux. Ces deux arguments fallacieux ne tiennent pas. La vérité, c'est que ces deux personnages amateurs de fauteuils ont brisé sciemment le front de l'opposition véritable au régime du tyran en «galopant», les yeux fermés, pour occuper les fauteuils de ministres tout en arguant, à qui veut les entendre, qu'il n'y a pas d'opposition unie ou unifiée à même d'assurer la relève et prendre les rênes du pouvoir, de manière provisoire, afin de conduire la révolution à bon port. C'est encore faux. Il existait (et il existe toujours), ce 15 janvier 2011, une force politique capable de déjouer tous les plans de la clique Ben Ali restée au pouvoir et de barrer la route aux usurpateurs de la révolution. Cette force politique d'opposition, de laquelle vous vous êtes bannis en courbant l'échine, proposait, dès la constitution du gouvernement d'union nationale puis de celle du gouvernement provisoire, la création, pour la sauvegarde des acquis de la révolution, d'une assemblée institutionnelle regroupant tous les partis politiques et toutes les institutions de la société civile appelés à s'entendre sur la mise sur pied immédiate d'un gouvernement provisoire indépendant, représentatif et auquel ne participerait aucune figure de l'ancien régime (conformément aux vœux du peuple) chargé de la gestion courante des affaires du pays, parallèlement à la Constitution de comités ou commissions chargés de la préparation des prochaines élections présidentielles et législatives (avec tout ce que cela nécessite comme révision ou rédaction d'un nouveau Code électoral, d'une nouvelle loi organisant les partis politiques et les associations, etc.) et de la rédaction d'une nouvelle Constitution tunisienne devant remplacer celle de 1959 dont vous semblez tirer votre légitimité et celle de «votre» gouvernement provisoire puisqu'on entend dire, dans les parages de vos partis, que l'actuel gouvernement est légitime, oubliant quelque part que nous avons vécu une révolution (et non une révolte) et que la révolution balaie tout sur son passage, même la Constitution de Ben Ali Baba. Bref, votre présence au sein de ce gouvernement illégitime, qui comprend encore des figures de l'ancien régime (ça ne vous dérange pas, bien sûr !), ne peut s'expliquer, à mon avis, que par votre cécité intellectuelle et votre immaturité politique, car, en dépit des appels qui vous ont été adressés, très tôt, de rejoindre le camp de la liberté et de la dignité, vous avez préféré rester dans celui de l'opportunisme et de la médiocrité. Voyez le résultat de votre entêtement : un peuple trahi, qui ne vous suit pas. Il suffit, pour le vérifier, de jeter un œil sur Facebook; il suffit d'aller faire un tour à La Kasbah… Prouvez le contraire si vous êtes sceptiques sur cette question de la popularité du gouvernement Ghannouchi. Maintenant, la balle est dans votre camp : soit vous démissionnez et ce sera le mot de la fin, soit vous persistez et ce sera la fin… Deux partis politiques se sont exclus eux-mêmes de la scène politique tunisienne. * Universitaire