Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), a plaidé, ces jours-ci, pour une réduction du nombre des banques tunisiennes et proposé des rapprochements entre banques en vue de fusions propres à pallier à une des grandes faiblesses des établissements de crédit en Tunisie, la fragmentation du secteur et la petite taille des banques. Lors de son évaluation périodique des banques tunisiennes, l'Agence de notation américaine Standard & Poor's a toujours estimé que la Tunisie est sur-bancarisée, compte tenu de sa population qui ne dépasse guère les 11 millions d'habitants. Une étude effectuée par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (IACE) relève à son tour que le secteur bancaire tunisien, composé d'une trentaine de banques (20 commerciales, 8 offshore et 2 banques d'investissement), ne permet pas, par l'effet de la sur-bancarisation, au secteur bancaire de réaliser des économies d'échelle et de financer efficacement l'économie du pays. Moralité: il y a trop banques pour un marché exigu. Mal classées Deuxième révélation de cette étude: la banque tunisienne n'a pas atteint la taille critique, ce qui explique le coût élevé de ses opérations, son incapacité d'investir dans des systèmes d'information à haut rendement du type Global Banker et sa fâcheuse tendance à exiger, constamment, des garanties. Conséquence: la banque tunisienne, handicapée par ces contreperformances, traîne dans les classements régionaux. Selon le classement des banques africaines du magazine Jeune Afrique, la première banque tunisienne, en l'occurrence la Banque nationale agricole (BNA), est classée 51ème sur un total de 200 banques listées. Elle est suivie par la BIAT (52ème), la STB (53ème), Amen Bank (61ème), Banque de l'habitat (63ème), Arab tunisian bank (73ème), Attijari Bank (74ème), Banque de Tunisie (86ème), UIB (91ème), UBCI (109ème) . Les cinq premières banques du continent sont sud-africaines talonnées de trois banques nord-africaines. Il s'agit de la National Bank of Egypt (6ème), des banques marocaine Attijari Bank (7ème) et la Banque extérieure d'Algérie (8ème). Il faut reconnaître néanmoins que les autorités monétaires et financières du pays ont été, de tout temps, conscientes de cette problématique mais n'ont jamais eu le temps matériel nécessaire pour mener à terme les réformes requises. Au temps du président déchu, une réforme de regroupement des banques publiques a été retenue et a même connu un début d'exécution mais elle a été reportée en raison de l'avènement de la révolution. Cette feuille de route, qui demeure à notre avis valable, prévoit notamment la densification du réseau des agences bancaires, le but étant d'atteindre un ratio d'une agence pour 7 mille habitants (contre 12.000 actuellement). La même réforme se propose de relever le capital minimum requis à 100 MDT, un seuil propre à pousser les petites banques (Banque de Tunisie et des Emirats, 30 MDT, Citibank 25 MDT ) soit à disparaître soit à fusionner à travers l'ouverture de leurs capitaux à des partenaires locaux ou étrangers. Point d'orgue de cette réforme, la proposition d'un mariage de raison entre toutes les banques publiques et privées de la place, à travers la création d'un pôle bancaire offshore dédié à la collecte de l'épargne des membres de la colonie tunisienne à l'étranger, et d'un autre spécialisé dans le financement des petites et moyennes entreprises (PME). Qu'en est-il du projet Tunisie Holding ? Concrètement, il s'agit de créer, sous la dénomination «Tunisie Holding», d'un pôle bancaire public qui regroupera toutes les banques majoritairement détenues par l'Etat, s'agissant de la Société Tunisienne de Banque (STB), la Banque Nationale Agricole (BNA) et la Banque de l'Habitat (BH). Les banques privées seront, à leur tour, encouragées à travers des incitations fiscales à se lancer dans la course à la taille critique. Parallèlement, la réforme prévoit le lancement d'un pôle financier spécialisé dans le financement des PME. Ce pôle sera généré par la fusion entre la Banque de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME) et la Société tunisienne de garantie (SOTUGAR). L'objectif majeur recherché à travers cette réforme est d'accroître l'assise financière des banques tunisiennes et d'agrandir leur taille, deux conditions sine qua non pour survivre. Les experts sont convaincus que les banques tunisiennes n'ont hélas d'autre option que de jouer la carte de la concentration pour faire face à la concurrence des banques européennes lors de la libéralisation des échanges de services avec l'Union européenne. Last but and not least, cette réforme insiste sur la création d'une banque spécialisée dans la collecte de l'épargne de la colonie tunisienne (un million environ). Baptisé «Tunisian Foreign Bank», le nouvel établissement sera créé sur les cendres de l'Union Tunisienne des Banques (UTB) et aura des représentations à travers toute l'Europe. Un retard bénéfique Quant aux chances de succès de cette réforme, les analystes sont unanimes pour avancer qu'elle a plus de chances de réussir après la révolution qu'auparavant, et ce pour une simple raison. Avant, cette réforme n'avait pour but que la création de nouvelles opportunités d'enrichissement pour les membres de la famille Ben Ali-Trabelsi. Ainsi, l'amorce de la fusion de la Banque de l'Habitat avec la STB n'avait d'autre objectif que l'exploitation de cette réforme pour délester la juteuse épargne logement de la BH et pour en faire bénéficier la Banque Zitouna, propriété de Sakher El Materi, gendre du président déchu. Et c'est là qu'une récente déclaration, faite vendredi 21 décembre à la radio Express Fm, par le vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI), Philippe de Fontaine Vive, trouve sa pleine justification. Tout en soutenant fermement le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, dans son projet de réduire le nombre des banques en Tunisie, le numéro 2 de la BEI a tenu à préciser que «l'essentiel, dans ce dossier de consolidation des banques tunisiennes, est de les regrouper de manière professionnelle et non de façon autoritaire». Ceci pour dire que le retard qu'a accusé cette réforme est bénéfique en ce sens où elle va gagner en transparence et en efficience.