Peut-on interdire à un non journaliste de faire du journalisme? La question mérite d'autant plus d'être posée que certains tentent d'utiliser la non-identité de journaliste d'Olfa Riahi comme argument pour discréditer la bloggeuse. Mais qu'est-ce qu'un journaliste ? Il n'y a pas de définition qui tienne vraiment la route! Y a-t-il un quelconque mal à ce qu'Olfa Riahi, la bloggeuse qui a fait éclater l'affaire du «SheratonGate», ne soit pas journaliste? La question mérite d'autant plus d'être posée que le fait de ne pas être journaliste semble avoir été utilisé pour tenter de discréditer la blogueuse. Le discours entretenu à l'occasion semble vouloir faire planer un quelconque soupçon voire des soupçons- sur l'action entreprise par la blogueuse (avoir réalisé un travail de journalisme investigation) du fait que celle-ci n'est pas journaliste. Comme si on voulait créer une relation de cause à effet entre l'identité de la blogueuse, ou sa non-identité, et ses faits et gestes concernant cette affaire! Pour dire sans doute qu'une blogueuse n'avait pas le droit de fourrer le nez dans une opération dite de journalisme d'investigation. Ce discours est-il logique? La réponse est non. Parce qu'il comporte de nombreuses erreurs de jugements qui ne se vérifient pas donc sur le terrain de la pratique du journalisme aujourd'hui, notamment depuis l'incursion de l'Internet dans le champ de la presse. Pour s'en assurer, il faut revenir à la définition du mot journaliste. Qu'est-ce qu'un journaliste? Une riche littérature professionnelle nous apporte des définitions. La plus connue est celle-ci: celui qui écrit dans un journal. Une définition aussi vielle que la profession journalistique qui a connu son essor au XIX siècle, lorsque les premières gazettes ont pris corps sur le Vieux continent (en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, en Hollande ) et aux Etats-Unis qui constituent un grand laboratoire dans le domaine des médias à la fois au niveau des contenus qu'à celui des techniques de diffusion. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Avec le développement de la société de la communication nourrie notamment par l'extraordinaire développement technologique qui a favorisé une réelle convergence des médias (grosso modo l'association entre le téléphone, l'Internet et la télévision), les définitions sont devenues incomplètes puisque ne recensant plus les différentes facettes des métiers des médias. «Journaliste free lance» et «journaliste consultant» D'autant plus que la profession recouvre des statuts multiples: journaliste à plein temps, journaliste «pigiste» (payé à la pige, soit à l'article), journaliste «free lance» (sorte de travailleur indépendant à la fois entrepreneur, propriétaire (de ses moyens de production) et son propre employé et «journaliste consultant», journaliste spécialisé dans l'analyse des événements souvent un spécialiste d'un champ de la connaissance: politique, économie, sport... Les exemples les plus connus dans ces domaines sont les journalistes français Alexander Adler et Christian Malard, historiens spécialistes des relations internationales; un confrère américain dit qu'ils connaissent en matière de géopolitique autant sinon plus que des ministres des Affaires étrangères. Une réalité tellement complexe qu'aucune définition sérieuse ne peut décrire une profession aux multiples facettes. Seule pour l'heure une définition est plus ou moins adoptée. Il s'agit de celle qu'introduisent les lois qui essayent de mettre de l'ordre dans le paysage médiatique notamment de la presse écrite et à l'endroit de ceux qui peuvent détenir une carte de presse. Comme les Codes de la presse ou encore les Codes du travail auxquels, il arrive qu'ils consacrent un chapitre à la profession. Ainsi et pour rester dans le cadre de la presse tunisienne, aussi bien le Codes du travail de 1966 que le Code de la presse que la Tunisie indépendante ou non a connus (1883, 1956, 1975 et 2011) ont discouru du statut de journaliste. Le décret-loi n° 115 du 4 novembre 2011 définit le journaliste comme étant «toute personne titulaire d'au moins une licence ou d'un diplôme équivalent et dont l'activité consiste pour l'essentiel- à collecter et à publier les informations et les opinions et les porter à la connaissance du public, et ce d'une manière permanente et régulière dans divers médias: écrits, audiovisuels et électroniques» (Article 7). Le même texte institue une carte de presse pour ce journaliste dit professionnel et une commission ad hoc pour la délivrer (Article 8). Une définition qui est contredite par les faits. Doit-on avoir en effet une carte de presse pour pouvoir être journaliste et exercer cette profession? Doit-on, par ailleurs, être payé à plein temps pour être considéré comme un chevalier de la plume? Nous y reviendrons Prochain article : Tunisie - SheratonGate : Les journalistes n'ont plus l'apanage du journalisme