Pour réussir la rupture économique, il faut choisir une méthodologie de l'investissement . L'impératif d'efficacité plaide en faveur de l'investissement marchand. Il ne reste plus qu'à s'en donner les moyens. Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances du gouvernement de BCE, l'auteur du Plan Jasmin, wonderboy du sommet de Deauville, qui a soulevé une ola planétaire de soutien à la Tunisie, a été à l'origine d'un nouveau courant de pensée en matière de gestion des finances publiques. Il nous en renouvèle la preuve avec la série de conférences qu'il donne depuis la parution de son livre dont le canevas est que la Tunisie peut réussir le déploiement de son économie sous réserve de reconfigurer l'appareil d'Etat et d'allouer ses ressources budgétaires vers l'investissement marchand. Il considère que l'Etat peut se servir de l'effet de levier financier pour surmultiplier ses ressources budgétaires du titre 2, celui destiné à l'investissement public. Cette fécondation financière serait en phase avec les besoins de rupture avec le passé. A la recherche d'un nouveau modèle, le pays pourrait pourvoir aux appels considérables de capital nécessaires à réaliser la transformation radicale de l'économie. Il ne s'agit pas d'un pari fou. Et sous cet angle, Jalloul Ayed relate la trajectoire suivie par Singapour, qui pourrait nous inspirer au plan de la méthodologie. Les traits de similitude entre les deux pays ne manquent pas de pertinence. Que faut-il retenir de la réussite de cette micro-géographie, démunie dans les années 60 et qui a réussi le banco retentissant de générer, en 2012, un PIB de 230 milliards de dollars, supérieur aux PIB des trois pays du Maghreb central, réunis? Think performance Jalloul Ayed a eu le temps, lors de son passage au gouvernement, de vérifier ce qu'il pensait déjà du service public. Le déficit des entreprises publiques est à 1,5 milliard de dinars. Le pays peut-il se permettre un tel gaspillage? Ce lourd appareil productif est mal utilisé. C'est anti économique. En plus de cette immobilisation infructueuse de l'investissement public, l'Etat est saigné par des dépenses de gestion indues. Plus de 600.000 fonctionnaires hantent l'administration, échappant à tout calcul de performance. Leur productivité n'est pas à son zénith et l'échelle d'évaluation barémisée à «l'aveugle» récompense tout le monde de la même façon, celui qui crée et celui qui se contente de faire acte de présence. C'est en ces quelques mots que Jalloul Ayed étripe les accords de hausses salariales négociées entre le gouvernement et les syndicats à l'effet d'acheter une certaine forme de paix sociale bradant l'essentiel, c'est-à-dire le contrat de production de richesses. Ces hausses, génériques et égalitaires mais par trop iniques, ne récompensent pas les plus méritants, occultent l'impératif de productivité. Le modèle d'Etat providence appelle un reengineering, au plus vite. Il faut le reconfigurer. A l'échelle macroéconomique, les aberrations sont tout aussi insupportables. Le titre II du budget se trouve asphyxié par la Caisse générale de compensation, laquelle a triplé, rappelons-le, entre 2010 et 2012. A peine cinq milliards de dinars destinés à l'investissement public. Pire que tout, même cette enveloppe modeste n'est pas entièrement épongée car des fois les limites physiques ne permettent pas d'ingérer ces montants. Et toujours cette masse de 800.000 chômeurs qu'on ne parvient toujours pas à insérer dans le système. Au final, on se retrouve avec un système qui favorise la consommation avec tous ses inconvénients d'inégalité de répartition et d'endettement. Peu importe le coefficient de la dette au PIB dès lors qu'elle n'est pas correctement allouée. La dette publique, dès lors qu'elle est affectée vers les dépenses budgétaires, met le pays à découvert. Il est temps de switcher vers un autre horizon. L'Etat, par souci de paix sociale, a cherché, avec une planification approximative, à faire de la transformation dans l'espoir de créer de l'emploi. Voilà qu'il se trouve piégé avec les limites de ce choix qui fait que la valeur ajoutée du système si mince ne permet pas une transformation en profondeur de l'économie du pays. Aller vers un système de création de richesses Le pays est à la recherche d'un nouveau modèle économique, cela ne fait pas de doute. L'ancien est en panne sèche car il plafonne, étranglé par la faible création de valeur ajoutée, insuffisante à suffire à tous. Pour trouver le modèle, Jalloul Ayed considère qu'il faut d'abord se donner une nouvelle méthodologie. Il la puise, à titre didactique, dans le cas de Singapour. Ce pays avait la même problématique que la nôtre. Pas de ressources et beaucoup de besoins. Le paradigme s'est imposé de lui-même. Il faut trouver une passerelle pour se positionner dans l'économie mondiale, afin de générer de la valeur, pour trouver matière à répartir entre les classes sociales et les régions. La seule riposte est de trouver une pompe à investissement «marchand», c'est-à-dire aux conditions efficaces qui répondent aux exigences du marché et de la rentabilité. Et Singapour s'est donné un rêve. La Tunisie est en droit de se lâcher et de se projeter dans l'avenir. Singapour s'est donné une vision. La Tunisie peut vouloir devenir le Singapour du Maghreb, la voie étant, à présent, libre. Singapour s'est donné un plan d'action, et AJlloul Ayed laisse entendre que le Plan Jasmin peut faire l'affaire. Mais Singapour s'est fait violence et s'impose d'évaluer le degré de réalisation de son plan d'action, régulièrement et selon des indicateurs de performances sévères. On doit savoir ce qu'on dépense au millime et connaître au millime et à la minute les conditions du retour sur investissement. La professionnalisation de l'acte d'investissement «marchand» Quel était l'apport clé du Plan Jasmin? Mais, la création de véhicules de capital, c'est tout aussi simple. Et, il s'agit, en l'occurrence, de la Caisse de dépôts et de consignation et du Fonds générationnel. La Caisse est à pied d'uvre. Mais le Fonds générationnel a été passé sous silence. Or, c'est lui qui peut activer l'investissement privé, à perpétuité, d'où son appellation de Fonds générationnel. L'idée est que, au lieu d'engloutir 5 milliards de dinars dans l'investissement public direct, on puisse, avec cette dotation, constituer un noyau dur d'un fonds d'investissement qui peut réunir un tour de table capable de réunir 40 milliards de dinars. Ce fonds mère peut, à son tour, alimenter en cascades des fonds dédiés, qui pour l'industrie, qui pour les services, enfin selon les orientations du Plan Jasmin, garnir grâce aux mêmes effets de levier des fonds spécialisés. L'idée est que l'apport de ces fonds dans les entreprises privées permette de relever sensiblement le ratio de solvabilité des PME. Ces dernières se plaignent de la difficulté d'accès au crédit bancaire. La question est sans surprise, dit Jalloul Ayed. Le système bancaire devient particulièrement averse au risque quand il doit traiter avec des PME dont le coefficient d'endettement dans le meilleur des cas est à 0,3. Rétablissons-le à 1, c'est-à-dire à un niveau de parité entre fonds propres et endettement, et les banquiers seront plus en sécurité et ne feront plus obstruction au financement. Les PME ne recueillent que 15% des crédits bancaires et sont à l'origine de plus de 70% des impayés. Avec plus de ressources en capital, elles seront mieux armées à s'endetter et le feront à des charges moindres, ce qui ne manquera pas de relever leur rentabilité et leur dynamisme et ne fera que booster l'économie dans sa globalité. Avec un cout fixe qui va, selon les secteurs d'activité de 25 à 40 mille dinars, le capital drainé par le Fonds Ajyal (ou Fonds générationnel) permettra de créer environ 400.000 emplois directs. L'insertion des chômeurs devient un objectif tangible, à portée de main, enfin d'imagination. Jalloul Ayed parlait d'un rêve qu'on peut facilement transformer en réalité. Nous dirons, pour notre part, qu'il faut tout simplement une ambition. Et, une volonté politique, pour la relayer.