C'est pour la première fois, depuis 56 ans de la proclamation de la République que les Tunisiens vont célébrer cet évènement historique sur une note de tristesse, de tension politique extrême et d'appréhension de l'avenir. Et pour cause ! Leur République qui leur a permis, des décennies durant, de bénéficier d'une relative stabilité, sérénité et équité des chances, est, de nos jours, sérieusement menacée par les nahdhaouis au pouvoir. Ces derniers, imbus d'autres valeurs, ne croient nullement à la République. Ils ne rêvent que de la création en Tunisie d'un émirat devant appliquer la Chariaa et relever d'un 6ème Kalifat, projet de toute la mouvance islamique dans le monde. A cette fin, les individus ne seraient que des numéros, des marchandises ou des instruments pour atteindre cet objectif utopique. Conséquence: les Tunisiens, qui ont vécu, plus de 1400 siècles d'islam, unis et dans la sérénité, risquent de connaître une guerre civile entre laïcs attachés à la légitimité et à l'alternance pacifique au pouvoir et des islamistes fanatiques déterminés à saisir cette chance au pouvoir, à s'y maintenir par tous les moyens et s'il le faut à faire passer au forceps leur projet. Le danger est, hélas, réel. Le scénario égyptien a toutes les chances de se reproduire en Tunisie car les causes qui ont justifié la déposition du président Morsi existent bel et bien dans notre pays: mainmise sur les institutions de l'Etat (police, justice, administrations, non reconnaissance de la différence, instrumentalisation des mosquées à des fins propagandistes, adoption de l'enseignement coranique, port du voile et du niqab dans les universités et les lieux de travail, sabotage des réunions des adversaires politiques par la violence, et comme prime, adoption d'une Constitution à la mesure des nahdhaouis et de leurs convictions ). Effectivement, les nahdhaouis, menés par des gourous moyenâgeux, se sont employés, depuis leur accès au pouvoir, il y a deux ans, et s'emploient, jusqu'à ce jour, à gommer tous les acquis du régime républicain, à manuvrer pour élaborer une Constitution portant les couleurs de leur secte, et à déstructurer les trois principales institutions-valeurs républicaines: ordre, liberté et justice. Au rayon de l'ordre, la Tunisie est, actuellement, classée parmi les pays les pays les plus dangereux du monde. Destination touristique confirmée au prix fort, depuis les années 60, la Tunisie est, aujourd'hui, boudée par les touristes. Et même ceux qui osent la visiter, ils y séjournent uniquement dans les hôtels et n'en sortent pas comme dans des ghettos. Les chancelleries étrangères multiplient les communiqués pour déconseiller à leurs compatriotes de visiter la Tunisie. Le pays, par l'effet de la déstructuration des services de sureté (police, gendarmerie, douane, les gardiens de l'Etat pour reprendre l'expression de Platon) avec la complicité, criarde, de l'ancien ministre de l'Intérieur nahdhaoui, Ali Larayedh, est devenu un nid de bandits, de coupeurs de route, de trafiquants d'armes de contrebandiers, et de mafias de toutes sortes. Pis, la Tunisie a acquis, au temps des nahdhaouis, la sinistre réputation d'être transformée, à la faveur d'une frontière poreuse de plus de 3000 kms, un entrepôt d'armes (découverte par hasard de plusieurs caches d'armes) et un incubateur de terroristes avec la découverte, également par hasard, d'essaims de terroristes dans les montagnes de Chaambi et les hauteurs du nord-ouest et d'autres au Mali, en Irak et en Syrie. La situation s'est aggravée par la violence politique avec l'assassinat du leader Chokri Belaid, secrétaire général du parti des Patriotes démocrates unifié (composante du Front populaire) et du militant du parti de Nidaa Tounès à Tataouine, Lotfi Naghd. La police, qui faisait la pluie et le beau temps durant le régime du dictateur déchu, s'est avérée un tigre en carton, un corps enclin beaucoup plus à obéir aux instructions aux hommes au pouvoir qu'à faire respecter les lois de la République. Résultat: Cette police, comme au temps de Ben Ali, a continué à attendre les ordres d'une hiérarchie apatride au service d'intérêts étrangers. Les dégâts sont énormes. De simples citoyens (manifestants, artistes, journalistes, députés opposants ) ont subi des actes de violences perpétrés par des salafistes djihadistes et des ligues s'autoproclamant protectrices de la révolution alors que la police, plombée par les ordres de la hiérarchie, se les donnait en spectacle. Ironie du sort, c'est la police elle-même qui a subi les pertes les plus dramatiques en raison de cette soumission aveugle aux ordres d'une hiérarchie aux desseins inavouables. Les confrontations armées qui ont eu lieu entre terroristes et la gendarmerie sur les hauteurs de Bouchebka et de Chambi, à Kasserine, en sont une parfaite illustration. Les victimes parmi les gendarmes et l'armée ont été tuées parce qu'ils n'avaient pas reçu l'ordre de tirer. Autre catégorie sociale qui a vécu dans sa chair ce dérapage sécuritaire et dont on parle peu, hélas, ce sont les paysans et les petits éleveurs isolés. En l'absence de toute intervention de la gendarmerie, ils ont subi comme la pire des tortures les assauts diurnes et nocturnes de bandes organisées de voleurs de bétail. La police, en cherchant à se restructurer en syndicats, n'a fait en réalité que se servir et non de servir. Les hauts cadres du ministère de l'Intérieur passent leur temps à justifier leur incapacité d'assurer la sécurité dans le pays par le sous-équipement tandis que les syndicats l'expliquent par le peu de motivation des policiers et revendiquent prime sur prime, protection sur protection Cette même police, consciente de son utilité, a poussé son arrogance jusqu'à l'insubordination. Aujourd'hui, la police refuse d'assurer la sécurité de leurs payeurs parmi les spectateurs -contribuables qui assistent aux spectacles d'artistes qui ont osé la critiquer. Sans commentaire. C'est pour dire qu'une fois le pays stabilisé, la première réforme à engager devrait toucher la police afin d'en faire une institution qui doive avant tout servir la République et sa pérennité. La Liberté est la deuxième valeur républicaine pervertie. Avec l'accès des nahdhaouis au pouvoir, cette liberté est devenue, excès de liberté, voire une licence pour tout se permettre. La liberté que nous évoquons ici est une liberté pernicieuse et ne sert que le projet nahdhaoui. C'est la liberté de déclarer par les salafistes djihadistes certaines mosquées zones libérées, c'est la liberté de créer des associations pour couvrir des activités louches. Selon l'Observatoire national de la protection du consommateur et des contribuables (Ilef), plus 50% des 12.000 organisations non gouvernementales que compte le pays uvrent pour des objectifs autres que pour lesquels elles étaient constituées. Cette liberté, c'est l'impunité dont jouissent les Ligues de protection de la révolution, bras musclé d'Ennahdha, pour terroriser les Tunisiens dans tout le pays. Cette liberté est celle donnée aux dirigeants nahdhaouis -Habib Ellouze, Chourou, Sahbi Atig- pour lancer, dans l'impunité la plus totale, des appels aux meurtres de ceux qui s'opposent à leur parti et à ses desseins. La liberté de conscience et du culte est sérieusement menacée par les instructions des nahdhaouis. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie contemporaine, la police -aux ordres encore une fois- a pris d'assaut des cafés et restaurants ouverts pendant la période de jeûne à Tabarka, ville touristique au nord-ouest. Selon nos informations, les propriétaires de ces établissements seront poursuivis en justice pour non respect du jeûne, et ce en l'absence de toute loi interdisant aux Tunisiens de ne pas jeûner. Pire, la liberté artistique est, également, sérieusement menacée. L'assaut mené par les salafistes contre l'exposition de peinture au Palais d'Abdellia à La Marsa et la condamnation à deux ans ferme du rappeur Weld El 15 pour une simple chanson l'illustrent de manière éloquente. La liberté individuelle encourt, à son tour, de graves dangers. Pour preuve, la condamnation à deux mois de prison ferme d'un couple de jeunes âgés de 20 ans qui auraient commis le délit de s'embrasser dans un coin de rue. Et la liste est loin d'être fine Vient ensuite la justice, l'autre valeur républicaine instrumentalisée par les nahdhaouis. Ces derniers, comme c'était le cas sous le régime de Ben Ali, ont utilisé, de manière systématique la justice pour servir leurs intérêts politiques. L'ancien ministre de la Justice, le nahdhaoui Noureddine B'hiri, s'est permis le luxe de se comporter comme s'il était le seul justicier dans le pays. Il a révoqué des dizaines de juges sans leur donner une seule possibilité de se défendre. Il est passé maître dans l'art honteux de fabriquer les procès contre des personnes indépendantes. En témoigne l'emprisonnement de Sami Fehri, directeur de la chaîne de télévision Ettounsia. Ce sinistre ministre s'est arrogé le droit, tout autant que son successeur, le soi-disant indépendant Nadhir Ben Ammou, de maintenir en prison Sami Fehri, en dépit d'une décision de justice autorisant sa libération. Il en va de même pour le cas de la féministe Amina Sboui, une personne fragile dont la justice nahdhaouie s'acharne à en faire une criminelle malgré elle, consacrant ici ce que Victor Hugo appelait dans les Misérables «le crime de la loi». La justice nahdhaouie est aussi une justice des deux poids et des deux mesures. La plus grande illustration en a été la condamnation, en première instance, du rappeur Weld 15 pour une simple chanson à deux de prison ferme alors que les salafistes qui avaient mené un assaut meurtrier contre l'ambassade des Etats-Unis à Tunis ont écopé de deux ans avec sursis. Mieux, les plaintes portées par les journalistes contre leurs agresseurs parmi les agents de police, les djihadistes et les ligues de protection de la révolution n'ont jamais eu de suite auprès du ministère public. Au niveau institutionnel, pour les juges, l'indépendance de la justice est toujours demeurée une parodie Les nahdhaouis ont beaucoup manuvré et tergiversé avant de lâcher quelques lests dont la mise en place de l'Instance provisoire de la magistrature. Néanmoins, les perspectives demeurent sombres. Car les nahdhaouis ne veulent pas lâcher prise et entendent contrôler, une fois réélus, les instances supérieures de la justice (Conseil supérieur des magistrats et le Tribunal constitutionnel). Les dispositions relatives à ces instances sont considérées comme litigieuses dans le projet de Constitution et font l'objet d'un houleux débat en vue d'un éventuel consensus. Cela pour dire in fine que les nahdhaouis sont viscéralement antirépublicains, antidémocrates en ce sens qu'à aucun moment la République et la démocratie n'ont jamais été ni au centre de leurs préoccupations ni une composante de leurs programmes. Ils sont des ennemis notoires de toute République démocratique. A bon entendeur.