Pas de suivisme libéral, à tout va. Démocratie et transparence, avant tout. Et, la gouvernance en renfort. Sous des dehors de banalité, un message sans équivoque : «larmes, sueur, et épargne». Un appel à une auto-émancipation économique. C'était un «Stiglitz code». Recettes simples et presque empiriques mais des repères sûrs. Joseph Stiglitz ouvrait le bal, par une grande conférence, lundi 11 janvier 2010 pour ce cycle des «Eminent Speakers» initié par la Banque africaine de développement (BAD). Ce matin là, régnait une ambiance euphorique à l'auditorium Ahmed Majoul de l'Amen Bank qui a prêté son amphithéâtre pour la circonstance. Après le rendez-vous manqué, à l'occasion de la présentation du rapport du panel de Haut niveau «Investir en Afrique au XXI ème siècle», en janvier 2007, le double lauréat du Nobel de l'économie et de la paix était bien au rendez-vous cette fois. Le président Donald kaberuka, a convié le célèbre professeur de Columbia à disserter sur «l'après-crise : quelles solutions pour l'Afrique ?». En présentant son illustre invité, il a rappelé que celui-ci était regardé par certains comme révolutionnaire et comme contre révolutionnaire, par d'autres. C'est d'ailleurs sous cette consigne que l'intervention du conférencier trouvait son plein sens. Ce jour là, l'invité américain avait emprunté un ton à la manière de Giuseppe Garibaldi, l'artisan de l'unification de l'Italie. Le contenu de son message pouvait bien se ramener à «Africa se fara da se». Le Continent ne pourra s'émanciper au plan économique que par lui-même. Un appel urgent et on ne peut plus clair pour le renforcement de la démocratie, à l'adoption de la transparence et à un recours franc à la gouvernance dans les affaires publiques. Une touche de pédagogiee Joseph Stiglitz, comme son métier le lui dictait, s'est astreint à une démarche pédagogique, lors de son intervention. Aussi, avant de s'attaquer aux solutions d'après-crise, a-t-il pris soin au préalable de revenir sur les enseignements de la crise. Et, leurs conséquences. Beaucoup trouveront son analyse de la crise trop convenue et pas assez virulente. Joseph Stiglitz a révélé un diagnostic scientifique accablant pour la modélisation financière. Il a rappelé qu'elle était dépourvue d'hypothèses sur les partages des risques dont celui de contagion. Cette absence de rigueur a bénéficié à un courant irresponsable d'innovation financière. On sait où nous ont conduits les produits structurés et la titrisation. Ils ont bien permis une martingale financière avec des sommes pharaoniques. De même qu'ils ont permis d'évacuer 50% des montants des valeurs «toxiques», représentant les crédits «subprimes», contaminant les principales places financières du monde, convertissant une crise aux causes nationales en une crise systémique planétaire. Le conférencier est professeur, il s'en tient à un diagnostic scientifique. Il s'arrête à la démonstration des carences de la modélisation économique libérale. Il ne peut déclencher un Hallali médiatique sur le laxisme doctrinaire libéral. Il n'est pas franc tireur. Il appartient à la communauté académique. Elle a ses rites et ses codes. Ni outrance verbale ni brûlots. N'a-t-il pas, il y a de cela quelques années, invalidé les hypothèses originelles du modèle de concurrence pure et parfaite, clé de voûte du dogme libéral, en démontrant qu'il y a asymétrie de l'information sur le marché. Par conséquent, tous les opérateurs n'étant pas informés de manière égale, le jeu concurrentiel s'en trouve vicié. Il a fait imploser le modèle libéral, comme Einstein à mis par terre la «physique mécanique» de Newton. Il l'a déclassée et ça lui a rapporté le Nobel d'économie. Une fois les retombées de la crise mises au clair, le conférencier est revenu au cur du sujet, les interrogations des Etats africains sur la poursuite de leur processus de développement : quelles politiques, quelles institutions pour l'avenir ? Le tableau sombre Seules l'Inde et la Chine ont résisté aux méfaits de la crise grâce à leur matelas de sécurité constitué par des réserves immenses. Toutes les autres puissances ont succombé. Il servirait à quoi donc de chercher à s'inspirer des politiques économiques des pays anglo-saxons ou de chercher à reproduire leurs institutions économiques? Le dispositif d'affaires en univers anglo-saxon s'est retrouvé déboussolé. Il n'est donc pas recommandable. Il avait déjà «muté» dangereusement depuis les années 90, période à laquelle il avait troqué le fameux PNB qui mesure la production par le PIB, qui mesure le revenu. Ce «switch» de terminologie a amené bien des manipulations. On voyait le PIB augmenter et les salariés s'appauvrir. Il masque donc les inégalités sociales. A l'heure actuelle, des gens sont à la rue et des maisons sont inoccupées. Près de 15% de gens ne peuvent obtenir un travail. Le quart des impôts pour couvrir le service de la dette américaine, pour une économie en panne. Pire que tout, l'indépendance des Banques centrales a desservi la transparence au lieu de la raffermir. Le conférencier rappellera les frictions des gouverneurs de la FED devant les congressmen. Tenir tête aux élus du peuple américain ! Greenspan n'en faisait qu'à sa guise. C'est lui qui a comprimé le taux d'intérêt à son plus bas historique. Et c'était bien ce qui a inspiré cette large martingale des «subprimes». Et tout récemment, Ben Bernanke qui refusait de dévoiler au même Congrès la destination der l'argent public qui a servi à recapitaliser l'assureur AIG, pris dans la tourmente. Le gouverneur a argué du fait que la FED est une autorité suprême et que, de ce fait, il n'avait pas à rendre compte. C'est la Cour suprême qui l'y a pourtant contraint. Ainsi, on a su qu'une bonne partie de cette subvention atterrissait chez le banquier de AIG, à savoir «Goldman Sachs». Et sans avoir à revenir sur les péripéties de la crise mais toute cette croissance entretenue à crédit. Une prospérité factice ! La moitié de la capitalisation boursière partie en fumée. Le marché est «off track». Il n'assure plus ses fonctions de base. Les taux d'intérêt sont déconnectés de la réalité et il n'y a plus d'allocation optimale des ressources. Les leçons à tirer par nous-mêmes Devant un tel désastre, il ne faut pas que les Etats africains, sur la trajectoire de leur développement, doivent s'auto-réhabiliter pour se donner les moyens de réguler le marché. Son processus d'ouverture doit se poursuivre mais à son tempo. Et tant pis pour les qu'en dira-t-on. Après tout, dira le conférencier, 17 pays du G20 ont adopté des mesures protectionnistes. On a vu l'Amérique, chantre de la mondialisation, appeler à consommer américain. Quand la croissance sera de retour, ce qu'elle en fera pas avant 2011 ou peut-être même 2012, elle ne sera pas vigoureuse. Par conséquent, la reprise des exportations sera tiède et les IDE seront rares. Et en attendant que le FMI arrive à mettre au point un système planétaire de gestion des réserves de change, le Continent devra trouver les moyens pour son développement. Comment opérer ? Quelques recettes de bon sens. Et alors qu'attend-elle de l'après-crise? D'abord cette reprise, précise-t-il, elle sera au retour en 2011 ou 2012... Coincés entre mille contraintes, la plupart des Etats africains ont toujours eu à arbitrer entre le «beurre et les canons». Ils ont souvent été en frustration de croissance parce que les équilibres budgétaires macroéconomiques sont difficiles à tenir et il n'y en avait jamais assez pour le développement ni suffisamment pour préserver les équilibres sociaux. Le prix Nobel dira qu'il est permis de braver la relation entre croissance et stabilité. On peut aujourd'hui accepter le creusement des déficits et laisser filer raisonnablement l'inflation si tel est le prix à payer pour le développement. Après tout, le FMI a béni le plan de relance islandais et fermé les yeux sur son déficit flagrant. Il ne s'agit pas d'encourager les Etats à être prodigues. Mais moins de rigueur macro-prudentielle semble doper l'épargne et alimenter le robinet de l'investissement. Joseph Stiglitz la recommande comme une solution de dernière chance. La manne du sous au final n'a été qu'une terrible malédiction car elle n'a pas amené le développement. Par conséquent, la solution ne viendrait que des politiques économiques audacieuses. Oser l'inflation et le déficit. Et c'est peut-être le versant contre révolutionnaire de Joseph Stiglitz. Une certaine témérité et un certain déni de la rigidité macro-prudentielle. Mais il faut pour cela des Etats forts qui renforcent leurs assises démocratiques, qui s'engagent pour la transparence et qui s'obligent aux règles de convergence. Oui des Etats qui croient au partenariat public/privé mais qui gardent toujours la main y compris dans l'initiative économique. Cela s'appelle l'économie mixte. Faut-il rappeler que ce style d'économie a été un peu partout à l'origine des Trente glorieuses.