Après les graves incidents qui ont accompagné le match du jeudi 8 avril 2010 entre l'Espérance sportive de Tunis, actuel leader de la ligue 1, et le club d'Hammam-Lif, se débattant en bas du peloton, pour le compte de la 9ème journée, les observateurs et les fans, de tous bords, s'interrogent sur l'évolution dramatique d'un sport populaire, devenu l'un des shows les plus prisés des foules, mais dont les valeurs fondatrices du fair-play et de la convivialité sont en perte de vitesse depuis des lustres. Car, avant même ces tristes évènements, survenus au stade olympique d'El Menzah, notre ballon rond suivait déjà une trajectoire erratique pour ne pas dire inquiétante. La victoire est belle si elle est arrachée à la possibilité réelle de la défaite, dans un contexte où tout ne semble pas réglé au millimètre. Hélas ! Au dessus des vicissitudes du championnat national, tournent, chaque dimanche, des vautours pleins de sollicitude, qui attendent la sortie des vestiaires pour piquer sur les futurs cadavres et leur demander, sans malice bien sûr, si par hasard ils ne seraient pas en train de perdre leur couronne. Peut-on débarrasser notre championnat de ses excès? De ses jeux troubles? De ses vieux démons? Qui donc, en réalité, a déclenché les émeutes? Comment renouer avec la logique sportive universelle fondée sur le génie du terrain et les partisans enthousiastes, passionnés, certes, mais endossant courageusement les contreperformances de leurs ouailles ? La gageure semble impossible. C'est que le ver est dans le fruit. Une chose est sûre, cette flambée de violence est née sur le terreau fertile de l'information sensationnelle, des frustrations identitaires et de la désinvolture d'une génération sans repères. Tolérés, encouragés, manipulés et même entretenus en sous-main par les dirigeants des clubs parce qu'ils assurent l'ambiance, la passion des couleurs et l'émulation parmi les joueurs, les derniers carrés des supporters fanatisés, ces ultras des temps modernes se targuent d'être des puristes, des jusqu'au-boutistes, capables, dans les moments critiques, de galvaniser les gradins et les pelouses pour hisser leurs équipes au firmament de l'effort et de la générosité. Doit-on pour autant justifier les débordements de la semaine dernière? Evoquer des erreurs d'arbitrage? S'entêter à trouver des alibis aux uns et aux autres? Pour la grande famille sportive, les affrontements du jeudi dernier ne sont pas le fruit du hasard. C'est l'effet boomerang d'une gestion populiste du sport n°1 du pays. Cela dit, il est grand temps, insistent la plupart des observateurs, de tirer la sonnette d'alarme après les rixes montrant les virages sang et or aux prises avec les forces de l'ordre, d'interpeller l'opinion publique sur cette atmosphère délétère de violence banalisée et d'appeler toutes les parties prenantes du football tunisien d'assumer leurs responsabilités devant un phénomène qui prend de l'ampleur, met en danger notre image auprès des instances internationales et requiert des dirigeants à même de dépassionner les débats et de faire des stades des lieux de communion. Des scènes insoutenables C'est l'intrusion du coach de l'Espérance dans le milieu du terrain et ses algarades à l'issue du 3ème but banlieusard, entaché, d'après certains analystes, d'un hors jeu flagrant, qui a brusquement fait monter la tension, poussé des pans entiers du public espérantiste à la fronde et encouragé de jeunes supporters, adolescents pour la plupart, à commettre l'irréparable, détruisant tout sur leur passage. Rien de tel ne s'était produit depuis le début du championnat, même au moment des rencontres chocs. Plusieurs vidéos, quasi insoutenables, tournées avec des téléphones portables, montrant des échauffourées dignes des ruelles de Gaza, des actes de vandalisme d'un autre âge, sont mises sur des forums Internet, puis transférées des milliers de fois. Les commentaires confirment l'absence totale des comités de supporters ou des dirigeants du club de Bab Souika pour calmer les ardeurs. L'impuissance à gérer ces mouvements de masse était flagrante. Ce déficit d'encadrement laisse perplexe et appelle à une refonte du choix des ressources humaines au sein de l'Espérance. L'heure est sûrement au tour de vis au parc B. en attendant, ce sont les finances du club qui trinquent. Et, cette fois, pas uniquement le bas de laine, mais le statut même de l'équipe est en train de tanguer. Personne ne peut sortir indemne de cette affaire. Les partisans du leader espérantiste doivent finalement savoir que leurs poulains, après un règne sans partage sur une ligue 1 en mal de révolte, ont tout de même les moyens de rebondir, de faire face à l'adversité, à condition de prendre chaque match au sérieux, de se dépasser au fil des rencontres et d'évacuer les comportements arrogants contre des adversaires imprévisibles, assoiffés de reconnaissance et avides de s'offrir le scalp du chef du championnat. Lors de la soirée du jeudi 8 avril, les armes des joueurs de Mongi Bhar étaient l'audace, la rage, l'abnégation. Ils ont mis la panique au cur du système défensif Sang et Or. Faouzi Benzarti, un entraîneur de stature internationale, devrait plutôt méditer sur cet art de chambouler les lignes hiérarchiques. Les copains de Khélifa, c'est une vraie marque de fabrique.