La tendance, ces dernières années, des entreprises publiques et privées tunisiennes à s'implanter en Algérie n'est plus, hélas, de mise. Les algériens ne cessent de multiplier la promulgation de législations discriminatoires favorisant, sans ambages, la préférence nationale aux dépens de la préférence maghrébine. Les objectifs affichés officiellement sont multiples. Il s'agit pour Alger de favoriser l'émergence de petites et moyennes entreprises (PME) algériennes privées, de leur accorder en prime plus de place dans la réalisation des projets, particulièrement, les trente mille projets structurants prévus par le prochain plan quinquennal (2010-2014). Ainsi, en l'espace d'une année, Alger a promulgué deux textes peu incitatifs à l'investissement étranger : le premier n'est autre que la fameuse loi de finances complémentaire de juillet 2009. Cette loi stipule que l'Algérie conserve la majorité du capital (51%) dans tous les projets d'investissement impliquant les étrangers. Le second texte, promulgué au mois de juillet 2010, remanie la réglementation des marchés publics, toujours dans le sens de plus de préférence nationale dont la marge a été révisée à la hausse. Elle passe de 15% à 25% dans les appels d'offres. Pis, le nouveau texte prévoit l'obligation de recours à l'appel d'offres national exclusivement lorsque la production nationale ou l'outil local de production est en mesure de satisfaire les besoins du service contractant. De même, l'entreprise étrangère qui soumissionne un appel d'offres international s'engage à conclure un partenariat d'investissement avec une entreprise algérienne et sera sanctionnée en cas de non-respect de cet engagement une fois le marché attribué. Premières victimes de cet arsenal législatif, les entreprises maghrébines, et surtout tunisiennes. Deux d'entre elles ont eu déjà à subir, de plein fouet, l'impact. En effet, l'entreprise Alkimia, spécialisée dans la production et la commercialisation du Tripolyphosphate de sodium (STTP), ingrédient de base utilisé dans la fabrication des produits d'entretien, a racheté, en 2006, 25% du capital de l'usine de STTP algérienne, Kimial, localisée à Annaba. Alkimia a été amenée, après signature du contrat, à réviser à la hausse le montant de l'acquisition et à acheter, en Chine, le matériel de mise à niveau de Kimial. Prise de court par la loi de finances complémentaire 2009, Gif Filter, fabricant de filtres à huile, air et carburant pour véhicules légers, poids lourds, engins et machines, a décidé de suspendre ses projets dans ce marché voisin. La société n'a pu réunir toutes les conditions exigées par cette nouvelle loi. Gif Filter a, en effet, proposé une augmentation de capital qui aurait dû avoir lieu à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire, fixée pour le 20 août 2009. Une augmentation de capital qui entre dans le cadre du programme de développement à l'international de la société avec comme première étape son implantation industrielle en Algérie. C'est un coup dur pour les entreprises tunisiennes qui cherchent à se déployer à l'international. Est-il nécessaire de le rappeler : la Tunisie, pays aux ressources naturelles modestes, est le pays maghrébin qui a le plus besoin de l'édification de l'Union du Maghreb Arabe (UMA). Le non-Maghreb lui coûte chaque année deux points de croissance de moins. Tunis voit dans cette région un espace vital pour l'écoulement de sa production manufacturière. Les entreprises tunisiennes l'ont compris et commencent, petit à petit, à s'imposer sur ce marché et à tirer profit des prix compétitifs de l'énergie en Algérie et en Libye. Avant la promulgation de ces législations qui consacrent la préférence nationale, des entreprises tunisiennes ont, pourtant, réussi à s'imposer sur le marché par la qualité de leur investissement. Ce dernier est essentiellement productif et est loin d'être ni volatil ni carnassier. A titre indicatif, il y a lieu de citer sur le plan industriel, la Société Tunisienne de Biscuit (Sotubi), filiale du groupe Mabrouk, partenaire de Géant (distribution) et le groupe français Danone qui a créé, à Alger, une entreprise spécialisée dans la fabrication de biscuits. A son tour, Carthago Ceramic, filiale du groupe Poulina, spécialisée dans la fabrication de la céramique, a décidé de se délocaliser, en Algérie. L'entreprise a réalisé, depuis, au sud-est de l'Algérie à 250 km de la frontière tunisienne, une usine avec un partenaire local. Coût de l'investissement : 18 millions d'euros environ. Toujours dans l'industrie, Altéa Packaging, groupe tunisien leader en emballage, a investi dix millions d'euros en Algérie. Il va y construire tout un site. L'Accumulateur Assad est déjà présent en Algérie depuis 2006. La société tunisienne "Tunisie Profilés Aluminium" va ouvrir, d'ici la fin de cette année 2010, une usine, moyennant un investissement de 16 millions d'euros environ. TPR, filiale du groupe tunisien Bayahi, détient 90% des parts du marché national, avec une production de plus de 20.000 tonnes par an, et exporte en Afrique (Sénégal, Mali, Burkina) et en Europe (France, Italie, Belgique). Au rayon des services, Amen Bank, 2ème banque privée de Tunisie avec 9% de part de marché, s'est associée à deux fonds d'investissement, l'un de dimension maghrébine et l'autre de dimension africaine, pour créer, en Algérie, une banque dotée d'un capital de 50 millions de dinars (28,5 millions d'euros) dont 55% seront détenus par Amen Bank. Avec ce nouvel établissement de crédit, Amen Bank vient renforcer son implantation en Algérie où elle détient avec Tunisie leasing 97% du capital de «Maghreb Leasing Algérie». C'est pour dire que la préférence nationale algérienne ne nuira pas aux intérêts des investisseurs occidentaux qui sont assez outillés pour se déployer ailleurs. Elle portera surtout préjudice avant tout aux PME maghrébines, et surtout, tunisiennes, qui commencent à voir, à la faveur de l'Union du Maghreb arabe, et du projet de l'intégration régionale, une opportunité pour agrandir leur taille. Honnêtement, il faut dire que les Algériens renvoient, avec cette politique de chacun pour soi, l'ascenseur au reste des pays membres de l'UMA qui n'ont jamais été très enclins à encourager les Algériens à investir chez eux. Conséquence : l'UMA reste un idéal.