Après avoir levé l'interdiction à la femme tunisienne d'épouser un homme de confession non-musulmane – à moins qu'il ne brandisse devant le maire un certificat de conversion à l'islam délivré par le mufti de la République et attestant de sa foi inébranlable – , l'ancien président de la République, feu Béji Caïd Essebsi, a souhaité inscrire son nom, encore une fois, dans l'histoire de la Tunisie. Afin de consacrer l'égalité entre les citoyens - inscrite dans la Constitution tunisienne et institutionnalisée par le Coran et l'islam, religion officielle du pays - il a proposé une initiative législative mettant fin à la volonté divine – diront les conservateurs – et une des innombrables injustices faites aux femmes au nom de l'islam – diront les défenseurs des droits de l'homme - : les inégalités successorales entre les Tunisiens et les Tunisiennes.
Si l'islam a explicitement fixé les conditions pour hériter et expliqué les différents schémas suivant lesquels se fait la détermination de la part de chaque héritier dans les biens laissés par une personne défunte, les législations que nous, mortels, avons mises en place n'ont consigné, de ces modalités de transfert de biens - parfois complexes - que la fameuse règle uniforme : « Au mâle revient une part équivalente à celle de deux femelles » (Verset 11, Sourate An-Nisa'a). Le “Combattant suprême” et fondateur de la République, Habib Bourguiba, refusant de déroger à l'égalité qu'Allah le Juste avait voulue pour les femmes, l'a, d'ailleurs, inscrite dans le Code du statut personnel, s'inspirant des écrits de Taher Haddad, aussi, « libérateur de la femme tunisienne ». Eduquer la femme, lui permettre de travailler sans autorisation du conjoint, lui donner le droit de voter ou de demander le divorce, oui. Lui permettre d'accéder aux mêmes droits successoraux que ses frères, non ! Habib Bourguiba avait, en effet, laissé ce choix aux parents. Seul un testament permet, aujourd'hui, aux parents de décider s'ils souhaitent diviser leur héritage à parts égales entre leurs enfants garçons et filles. Et en l'absence de ce document, la femme aura seulement la moitié de ce qu'héritera son frère. Car, rappelez-vous, dans la religion musulmane, la femme a, tout de même, droit à un mahr (dot, ndlr) par lequel, elle récupérerait une sorte de compensation sur ce qu'elle n'a pas pu toucher sous forme d'héritage!
Il a fallu attendre 2018, pour que les prémisses d'un changement (hélas éphémère!) pointent du nez dans l'espoir de rompre avec cette tradition ancrée et plébiscitée tant par les hommes que les femmes. C'est à l'occasion du 62e anniversaire du Code du statut personnel, que le projet de loi sur l'égalité homme-femme dans l'héritage a vu le jour sur recommandation de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe), créée par feu Béji Caïd Essebsi, lui même. Cette initiative inédite qui aurait pu hisser la Tunisie, pour la énième fois, au rang de pionnière dans le monde arabe en matière d'émancipation et droits des femmes, semble agoniser, laissant derrière elle le grand engouement national et international qu'elle avait suscité. Kaïs Saïed, actuel locataire du palais de Carthage et professeur en droit constitutionnel, s'est, d'ailleurs, tout bonnement, prononcé, une nouvelle fois, contre l'égalité de l'héritage devant un public exclusivement féminin, le 13 août 2020, coïncidant avec la fête nationale de la Femme et le 64e anniversaire du Code du statut personnel. Un discours qui a, sans doute, fait des heureux parmi les gardiens vigilants de l'orthodoxie, titulaires ou occasionnels, soient-ils. Et ô combien ils sont nombreux - même parmi les soi disant progressistes modernistes - à se convertir en fidèles applicateurs de la volonté du Tout puissant, une fois les préceptes du Coran et de la Chariâa islamique, sources de jurisprudence en Tunisie, examinés ou remis en question. L'opposition de certaines personnalités politiques - zaama zaama favorables à l'égalité entre les deux sexes - en est d'ailleurs la preuve.
La position de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) est un des exemples les plus frappants. Jeudi dernier, alors qu'elle s'est ouvertement prononcée en faveur de la parité entre les hommes et les femmes, notamment dans la vie politique et économique, et l'accès aux hautes sphères décisionnelles, son parti a confirmé sa position anti-égalité dans l'héritage. Une position que Abir Moussi, elle-même, a soutenue lors de sa campagne électorale pour la présidentielle de 2019 avançant un risque de division dans la société tunisienne et une menace pour la stabilité de l'institution sociale la plus sacrée : la famille. Mme Moussi n'est, cependant, pas la seule femme tunisienne à s'opposer à l'égalité dans l'héritage. Dans chaque ville, chaque quartier, chaque rue et à chaque pâté de maisons, il existe une Tunisienne - indépendamment de son statut social et de son niveau intellectuel, d'ailleurs - qui se refuse et refuse à ses compatriotes cette égalité. Les motifs ? La religion d'abord, mais aussi la belle-soeur qui la jalouse ou encore sa propre fille qui risque de partager la fortune de la famille avec son mari suivant le régime de la communauté des biens entre époux et ainsi priver son frère aîné - le préféré de maman - d'une grosse partie de l'héritage… Il s'agit la d'une culture. Et Dieu seul sait les efforts qu'il faut déployer pour mener une réforme de cette envergure.
Safi Saïd, le fondateur du parti “les Jardins des abeilles”, semble, d'ailleurs, avoir compris que la partie était déjà perdue (peut-être ?). Lors de sa course à la présidentielle, il a refusé de remuer la boue et a, tout simplement, préféré renvoyer la balle aux gouvernés proposant un référendum. Un acte d'expression de la volonté du peuple qui peut, autant mener à un heureux dénouement que nous renvoyer à, “à l'homme la part de deux femmes”, ad vitam æternam.