Un an, un mois et un jour. Cela fait un an, un mois et un jour que nous n'avons pas eu d'exécutif stable en Tunisie. Cela fait un an, un mois et un jour que le président de la République, Béji Caïd Essebsi est décédé et que le pays est entré dans un cycle électoral prématuré, duquel il a encore du mal à se remettre, à supposer qu'il soit fini. Cela fait un peu plus d'un an que nous suivons les « aventures » d'une classe politique décidément incapable de s'élever au niveau de l'instant historique et de la responsabilité qui lui est dévolue. Evidemment, ces hésitations et cette désinvolture devant la situation grave du pays, avant et surtout après la pandémie de coronavirus, ont un coût. Un prix que le contribuable tunisien paye sans rechigner depuis maintenant des années, mais cela n'empêche pas que la colère gronde. Qui est le contribuable tunisien ? En majorité, on parle ici du chef d'une petite PME, qui ne commence à travailler pour son compte qu'à partir du mois d'avril. Il s'agit du patron d'une petite entreprise qui croule sous la pression fiscale, toujours plus grande, et qui doit se confronter chaque jour à l'arbitraire et parfois à la bêtise d'une administration, censée aujourd'hui nous produire des « compétences indépendantes ». En plus, ce même chef d'entreprise a été livré à lui-même pendant et après la pandémie de coronavirus. Personne ne l'a aidé, l'Etat lui a promis monts et merveilles pour ne rien obtenir au final et être obligé, au meilleur des cas, de licencier du personnel, et dans le pire, de fermer son entreprise et de mettre fin à son activité. C'est le même chef d'entreprise à qui l'Etat demande de faire des efforts pour recruter dans les milliers de chômeurs qui écument les rues tunisiennes. C'est le même chef d'entreprise qui dit, depuis des années, que les circuits universitaires sont obsolètes et que les détenteurs de hauts diplômes en Tunisie sont inemployables. Tout cela passe aux oubliettes et l'Etat n'accorde d'importance à ce chef d'entreprise que le jour de la paye, parce qu'il doit s'acquitter des impôts, des taxes, de la CNSS etc. Aucun retard n'est toléré pour le paiement de ce genre de choses. Aucune flexibilité n'est envisagée. Par contre, quand c'est à l'Etat de payer, il faut prendre son bâton de pèlerin et s'armer de patience. Il fût un temps où un bon de commande de l'Etat suffisait pour ouvrir les portes des banques et de leurs financements. Aujourd'hui, il n'existe aucune garantie d'être payé quand on est prestataire de l'Etat. Les professionnels du BTP en savent quelque chose. Nous en sommes à présenter la récupération de TVA comme une aide que l'Etat offrirait aux entreprises !
Le contribuable c'est aussi l'employé, de manière générale. Cela va du directeur dans une entreprise, au fonctionnaire en passant par les professeurs. Le sentiment général est que ce sont des gens pressés comme des citrons. Il faut payer, tout, tout le temps. La rentrée scolaire arrive et les prix sont faramineux, aussi bien pour les fournitures que pour l'enseignement en lui-même. Ce sont ceux qui payent les augmentations aberrantes des prix de l'alcool et des cigarettes, qui voient leurs salaires amputés de près du tiers pour payer un charabia incompréhensible de taxes et d'impôts. Ensuite, ce même contribuable n'aura droit qu'à 200 dinars par an de remboursement de soins par la CNAM. Ce même contribuable voit l'UGTT réclamer l'augmentation des salaires dans le public alors que nous sommes encore en pleine pandémie, et il sait déjà que ce sera lui qui paiera ces augmentations. Il voit un Parlement qui vote une loi permettant de recruter directement et sans concours dans la fonction publique les chômeurs de plus de dix ans, et il sait que ce sera à lui d'allonger l'argent.
L'employé dans une usine ou le salarié lambda voit aussi comment des contrebandiers notoires ont pu obtenir l'aide de 200 dinars accordée par l'Etat pendant la crise sanitaire. Des criminels qui font tourner des millions de dinars par mois sur différentes activités, narguent l'Etat en profitant des aides supposément destinées aux pauvres. Et oui, encore une fois c'est ce contribuable qui va payer. Ce contribuable-là se demande ce que peut bien faire l'Etat avec tout cet argent amassé sur le dos des honnêtes gens. Parce que lui, il continue à rouler sur des routes cabossées et sur des autoroutes non éclairées et manquant de signalisation. Il continue à devoir prendre un jour de congé pour aller régler un ou deux papiers avec l'administration. Il se sent de moins en moins en sécurité parce que la criminalité augmente et que les policiers, en face, n'ont pas les moyens d'y faire face, ni en nombre ni en équipement. Il rigole en voyant que l'Etat annonce qu'il va se mettre à utiliser les E-mails pour la correspondance entre les ministères, en 2020. Ce qui fait moins rire ce contribuable, c'est qu'il risque fort de perdre son boulot. L'Etat n'ayant pas fait grand-chose pour sauver l'économie et les entreprises, les vagues de licenciements se suivent dans un silence complice. Les plus chanceux trouvent des arrangements en liquidant leurs congés, en acceptant des réductions de salaire ou d'en recevoir une partie au noir, d'autres sont obligés d'imposer des congés sans solde.
Tout cela provoque une colère profonde et sourde chez des personnes que l'on n'entend pas. Cette impression de se faire arnaquer se transforme progressivement en certitude et devient insupportable. Etre de simples vaches à lait à qui l'on soutire de l'argent chaque fois qu'il s'agit d'augmenter des bras cassés ou de recruter des bons à rien, ça suffit. Ces gens-là représentent les vraies forces vives de ce pays. Ce sont des personnes qui travaillent tellement qu'elles n'ont pas le temps de faire le bruit que font les autres. Il serait suicidaire pour la Tunisie de mettre ces gens-là en colère.