Par Abdelhamid Gmati Avez-vous la fiscaphobie, cette peur des impôts qui saisit riches et pauvres, en dehors de nos frontières? Après les policiers (les flics), ce sont les percepteurs d'impôts qui sont les plus mal aimés; un peu partout dans le monde. Chez nous, aussi, nous n'aimons pas les impôts, les taxes, tous ces «petits» pourcentages que l'on nous soutire de nos salaires, de nos revenus, de nos achats, de nos ventes, de nos habitations, de chaque possession, de chaque activité. De nombreux petits et grands signes le démontrent. Nous signalerons seulement ces commerçants qui pour mieux attirer la clientèle, affichent le prix de leur marchandise en spécifiant «TTC» (toutes taxes comprises). Ailleurs des chefs d'entreprise, des vedettes, des artistes vont s'installer dans d'autres pays, réputés «paradis fiscaux» pour échapper au fisc de leurs pays d'origine. Nous n'en sommes pas encore là. Du moins, on veut bien s'en persuader. Mais est-ce vrai? Parmi les malversations et les outils de pression, de chantages et de punitions utilisés par la mafia qui était au pouvoir dans notre pays, figurait le recours au fisc. Qu'un chef d'entreprise convoité par l'un ou l'autre de la famille mafieuse des Ben Ali-Trabelsi, refuse de céder à leurs offres de racketteurs, et il recevait le lendemain même de son refus ou de sa réticence, une brigade d'agents du ministère des Finances, qui épluchait ses comptes, lui infligeait un «redressement» et «des amendes». Même s'il avait honoré ses déclarations fiscales et payé ses dus. Un agent du fisc a même déclaré à un client qui pensait être en règle depuis des années : «Vous savez, lorsqu'on se déplace, on ne rentre jamais bredouilles. Même si vous avez des experts fiscalistes, on trouve toujours». Et comme leurs décisions sont déterminantes, le pauvre chef d'entreprise se trouve en «graves difficultés» (euphémisme pour dire «en faillite»). Le commun des mortels, le citoyen lambda (vous et moi) est souvent amer lorsqu'il reçoit sa fiche de paie et constate ce qu'on lui a retenu comme impôts sur le revenu. Et il exprime son amertume en affirmant : «Si l'Etat ne procédait pas à des retenues à la source pour percevoir les impôts, il se retrouverait fauché». D'autres «communs des mortels» (des chefs d'entreprises, petites, moyennes ou grandes) sont souvent désabusés et non moins amers. Et ils expriment leur amertume en affirmant: «L'Etat nous empêche de nous épanouir et de développer nos entreprises, avec ses impôts et ses taxes, ses amendes de retard et ses redressements. Il met même un frein au recrutement de personnel avec ses taux de contribution à la Cnss. On parle de mesures de soutien aux entreprises, mais il prend d'une main ce qu'il donne de l'autre». Un patron d'une petite entreprise, dans l'industrie du bois, employant une dizaine de personnes spécifie: «Lorsque le salaire d'un employé est de 100 dinars, en réalité, il me revient à 150 dinars avec les impôts, les taxes, la cotisation à la Cnss. Ajoutez à cela cette autre taxe déguisée, à savoir la contribution à la télé facturée en pourcentage de ma consommation d'électricité (alors que dans l'usine, il n'y a pas de télé, les gens travaillent, et nos machines consomment beaucoup d'électricité). Alors, au lieu d'avoir 20 employés nécessaires à ma production optimale, je n'en recrute que 10, quitte à leur payer un peu plus et quelques heures supplémentaires». Le fisc, soit «cet ensemble d'organismes de l'Etat», chargés d'établir et de percevoir les impôts, les taxes et autres, est mal aimé. Et on en a peur. Ne remontons pas l'Histoire, mais rappelons que, depuis l'Antiquité, le fisc, les impôts, appelé par divers noms selon l'époque, le pays et la société, «était le trésor personnel de l'empereur». Nos pères parleront du Bey et de ses prélèvements sur les récoltes, les moissons, les commerces etc. Tous étaient réticents, voire hostiles parce que cela allait dans la poche personnelle des gouvernants. Nous venons de le vivre récemment avec ce fameux «26-26» qui alimentait les caisses personnelles de Ben Ali. En fait nous n'avons pas de culture de la fiscalité. Or, les impôts sont les ressources essentielles de l'Etat. Comment et avec quoi sont payés les fonctionnaires, les médecins, les infirmiers, le matériel, les médicaments des hôpitaux, nos militaires, nos policiers, nos professeurs, nos enseignants, nos écoles, nos universités, les différents services et employés? Comment et avec quoi sont financés les routes, les ponts, les barrages, les différentes infrastructures? D'où proviennent les différentes aides sociales octroyées aux plus démunis, aux plus pauvres? D'où vient l'argent que le gouvernement provisoire débloque en soutien provisoire aux chômeurs ? Avec nos impôts bien sûr. Le budget de l'Etat est constitué pour 80% de recettes propres, c'est-à-dire de ressources fiscales, soit 40% provenant des impôts directs et 60% des impôts indirects. Pour 2011, ces recettes s'élèveront à 13.213 +.MD et la pression fiscale sera contenue dans la limite de 19,1 à 19,9%, hors fiscalité pétrolière. Ben Ali, paraphrasant un roi de France a dit et appliqué cette maxime : «L'Etat, c'est Moi». Notre révolution rétorque: «L'Etat, c'est Nous, Citoyens tunisiens». Nous affirmons ainsi notre citoyenneté, et nous reprenons possession de notre Etat. Et pour que cet Etat soit fort et nous serve comme nous le souhaitons, il nous faut être citoyen. Et le premier acte de citoyenneté est de payer ses impôts, ses taxes, et même ses amendes pour excès de vitesse. Bien entendu, l'Etat, devra faire preuve de transparence et nous dire, à chaque instant, ce qu'il fait de nos impôts et taxes. Il ne faut plus avoir peur du fisc. C'est cette culture de la fiscalité que nous devons acquérir et développer. Comme en toute démocratie.