Hichem Mechichi aura-t-il la confiance des députés ou au contraire, il aura des difficultés à faire passer son gouvernement dans un Parlement émietté ? Même dans les meilleurs des scénarios, pourra-t-il gouverner lâché par son seul soutien et attendu au premier tournant par tous les autres ? Pour l'heure, ceux qui s'opposent à un gouvernement de compétences non partisanes semblent être déterminés. Il s'agit surtout d'Attayar et de la coalition Al Karama. En face, ceux qui soutiennent Mechichi et son gouvernement, expriment timidement leur soutien, en prenant les précautions nécessaires et en mettant des conditions qui leurs permettent, en temps voulu, de faire volte-face, comme savent le faire les partis politiques tunisiens. C'est le cas du mouvement Echâab, du bloc de la Réforme, de Tahya Tounes, du Parti destourien libre et de Qalb Tounes. Reste le parti islamiste Ennahdha qui a retardé l'annonce de sa position concernant Mechichi et son gouvernement jusqu'à quelques heures avant le début de la plénière du Parlement. Cela permettra aux dirigeants islamistes de mieux négocier, pas les postes au sein du gouvernement, mais les postes dans les rouages de l'Etat qui sont toujours âprement négociés sans jamais être annoncés.
Mais les positions des partis politiques ne devraient pas être la préoccupation majeure de Mechichi pour le moment. Il sait qu'il est étranger au microcosme politique tunisien, qu'il en est et qu'il y sera toujours l'intrus. Il sait aussi que s'il a une chance de passer et de faire passer son gouvernement suite au vote de mardi prochain, ce n'est pas parce qu'il a réussi à convaincre les députés par sa démarche ou par son programme. Si son gouvernement passe, ça sera uniquement parce que les partis politiques ont peur, hésitent à rendre le tablier et à se remettre de nouveau à la volonté du peuple par le biais d'élections anticipées. Si les partis politiques votent pour un gouvernement qui les éjecte des rouages de l'Etat, c'est parce qu'ils ne sont pas prêts à affronter leurs électeurs, leur rendre des comptes et prendre le risque réel de se voir éjectés de leurs sièges au Parlement. C'est donc un Mechichi serein qui affrontera le Parlement mardi prochain avec une sorte de pari de Pascal à son avantage : S'il passe c'est toujours un bonus et une nouvelle expérience haletante. S'il ne passe pas, il n'aurait pas perdu gros et retournera à ses dossiers en tant que grand commis de l'Etat.
Par contre, ce qui est autrement plus préoccupant pour Mechichi, ce sont ses rapports avec le président de la République et son entourage, qui se dégradent à vue d'œil. Déjà, il lui a fallu attendre les cinq dernières minutes des délais constitutionnels pour aplanir les différends avec Carthage et annoncer aux journalistes qui languissaient depuis deux heures, la composition de son gouvernement. Par la suite, il y a eu « la bataille des deux Kamel » pour le poste de ministre de l'Equipement que Mechichi a visiblement gagnée sur le fil. Puis il y a eu l'épisode du ministre bégueule de la Culture, qui a reçu le soutien ostentatoire du président de la République, comme pour mieux discréditer publiquement, le chef du gouvernement désigné.
Si le gouvernement Mechichi passe mardi au Parlement, il est certain que ses rapports seront difficiles, électriques même avec, aussi bien le Parlement que la présidence de la République. Mais si avec le Parlement, les choses sont prévisibles et gérables au coup par coup, les rapports avec le président de la République et son entourage pourraient d'être plus difficiles et plus complexes. En effet, en plus des ministères de la Défense et de la Justice qui entrent dans le « quota » du président, Kaïs Saïed a réussi à placer plusieurs de ses proches, peut-être un peu trop, dans le gouvernement de Hichem Mechichi. Ces proches du président pourraient miner le gouvernement de l'intérieur ou au contraire être les premiers à faire les frais d'une confrontation entre La kasbah et Carthage. Cela nous rappellerait sinistrement la querelle entre feu Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed, avec les résultats que l'on sait.