Erreur dans le nom d'un ministre, un autre qui démissionne puis se rétracte, Hichem Mechichi donne l'impression de patauger alors qu'il n'a pas encore occupé son poste de chef du gouvernement. Qui veut sa peau, qui est derrière cet affaiblissement en un temps record et pourquoi ? Une seule réponse : le palais de Carthage. C'est l'histoire d'un gamin gâté à qui on offre une poupée. Il prend la poupée, il la casse et réclame une autre le lendemain. Cette anecdote signée Taoufik Jebali tirée de Klem Ellil et dont l'original est encore plus savoureux en dialectal tunisien, ressemble comme deux gouttes d'eau à ce qui se passe au sommet de l'Etat ces jours-ci. Dans le rôle du gamin gâté, une femme qui semble être puissante et qui s'appelle Nadya Akacha, directrice du cabinet du président de la République. C'est ainsi que se dirige le pays en août 2020. Les faits. Le lundi 24 août 2020, dernier délai pour l'annonce du gouvernement, Hichem Mechchi se présente au palais de Carthage avec sa liste de ministres. Il est reçu par Nadya Akacha puis par le président de la République. La différence est minime entre les deux, puisque ce que dit l'une est répété par l'autre. Tous les invités du président le disent. Ils sont systématiquement reçus par Mme Akacha qui leur tient un discours clair et souvent sans ambiguïtés et ce même discours est répété quelques minutes plus tard par le président de la République. Hichem Mechichi donne sa liste au président et il était dans les délais. Mais c'était sans compter le retard pris dans des négociations et enchères de dernière minute. Le chef du gouvernement n'est pas convaincu par plusieurs noms, puisqu'il ne les connait même pas, mais acquiesce. Il tient à avoir de bonnes relations avec le président de la République qui lui a donné, un mois plus tôt, sa bénédiction. Peu avant minuit, le gouvernement est annoncé. C'est un détail puisque le deadline constitutionnel ne parle pas de l'annonce médiatique de la composition gouvernementale. L'essentiel est que la composition soit remise le 24 au président. « Au président ou au Parlement ? », renchériront des constitutionnalistes puristes. Un détail, car le Parlement a officiellement annoncé avoir reçu la liste le 24. Ce n'est pas vrai, mais passons.
La liste remise au Parlement parle de Kamel Omezzine, la liste donnée aux médias parle de Kamel Doukh. Personne ne sait pourquoi. Mais à Carthage, on sait ce qui s'est passé. Après l'annonce médiatique, Nadya Akacha relit la composition du gouvernement, dont plusieurs noms sont de sa propre proposition, et décide de barrer le nom du ministre de l'Equipement Kamel Doukh pour le remplacer par un autre, Kamel Omezzine. Hichem Mechichi apprendra ça plus tard et il tombe des nues. Il se tait. En bon fonctionnaire discipliné, il préfère être désavoué devant l'opinion publique plutôt que de désavouer la présidence de la République. Vendredi matin, la présidence fait fuiter dans la presse le document comportant le nom de Omezzine en déclarant que M. Mechichi s'est trompé de nom en disant une chose différente de ce qu'il pense. Il ne se rétractera pas cependant et ses équipes ont confirmé la liste donnée aux médias. Cela crée désordre et c'est Rached Ghannouchi, président du parlement, qui va devoir le trancher. Il en parle dans son entretien du jeudi 27 août avec Kaïs Saïed. Les deux présidents ne vont pas parler que de cela, car après Mechichi, c'est au tour de Ghannouchi de tomber des nues. Le président de la République lui demande, en sa qualité de président d'Ennahdha, de ne pas voter le gouvernement. En contrepartie, il s'engage à ne pas dissoudre le parlement et à nommer quelqu'un qui compose un gouvernement partisan tenant compte des équilibres parlementaires. En clair, Kaïs Saïed a changé d'avis et vient de décider de laisser tomber son poulain. Est-ce lui qui a changé d'avis ou est-ce Nadya Akacha qui l'a fait changer d'avis ? Peu importe la réponse, le résultat est le même.
Hichem Mechichi n'est pas encore arrivé au bout de ses peines, car ce jeudi 27 août, il va être désavoué publiquement par le président de la République. Maintenant, c'est au tour de l'opinion publique de tomber des nues. Mercredi 26 août, en fin d'après-midi, le désigné ministre de la Culture Walid Zidi publie un post Facebook dans lequel il annonce ne pas pouvoir occuper le portefeuille. Quelques heures plus tôt, pourtant, il était convaincu et honoré par sa nomination. Que s'est-il passé ? Le monsieur est un malvoyant et ceci est handicapant pour tout le département. L'essentiel du travail du ministre de la Culture se fait avec les yeux, que ce soit pour le cinéma, le théâtre, les arts plastiques. En plus, il n'a pas l'expérience professionnelle requise pour occuper un tel poste. Il n'en a aucune. Ces données sont jetées d'une manière crue sur les réseaux sociaux. Parfois trop crue frisant l'indélicatesse et l'indécence. C'est arrivé aux oreilles du futur ministre et sa décision est prise. Il l'annonce donc sur les réseaux sociaux, sans même en informer au préalable la présidence du gouvernement. Le lendemain matin, jeudi 27, il est interrogé à la radio et décide de se rétracter. A-t-il été appelé entre-temps par la présidence de la République ? Possible, puisque c'est elle qui l'a proposé à ce poste et non l'équipe Mechichi. Il n'est d'ailleurs pas le seul à avoir été nommé par la présidence de la République, parfois à la dernière minute. Mohamed Trabelsi, futur ministre des Affaires sociales, a lui aussi été nommé par Carthage. Il a d'ailleurs appris sa désignation dans les médias, personne ne l'a contacté au préalable ! Walid Zidi revient donc sur sa démission le jeudi 27, mais cette hésitation n'est pas du goût de Hichem Mechichi, il a besoin d'hommes solides et sûrs d'eux. Il décide de le limoger dans la matinée. L'après-midi même, Walid Zidi est reçu au palais de Carthage par Nadya Akacha puis par le président de la République qui lui fait une bonne tirade élogieuse. Kaïs Saïed a exprimé son « soutien inconditionnel et sa confiance totale » à Walid Zidi, affirmant qu'il « dépassera tous les obstacles pour mener à bien sa mission » et insistant sur « sa capacité totale à assumer ce poste ». Il s'agit là d'un désaveu cinglant et public pour Hichem Mechichi qui l'a limogé le matin. Pire, il s'agit là d'une ingérence dans son travail, car constitutionnellement, le président de la République n'a pas le droit de s'immiscer dans la composition gouvernementale. L'ingérence et le mélange de genres ne se fait plus dans les coulisses, il se fait désormais devant les caméras !
Après ces désaveux, publics et privés, que peut faire Mechichi ? Démissionner et sauver sa dignité ou rester et entamer un bras de fer intenable sur la durée avec le président de la République ? Pour répondre à cette question, il a besoin de savoir si oui ou non il a un soutien parlementaire fort. Et quand on dit soutien parlementaire fort, on pense inévitablement au duo Qalb Tounes – Ennahdha qui représentent à eux seuls 81 voix sur les 109 nécessaires à son passage. Les aura-t-il ? Si Rached Ghannouchi décide d'aller dans le sens du président, dont l'avis change au gré des jours, il risque la dissolution du parlement. S'il va à l'encontre du président et décide d'approuver Hichem Mechichi, il risque de faire perdurer la guerre avec le palais de Carthage. La décision de Ghannouchi sera prise ce week-end. Celle de Qalb Tounes est déjà prise et le parti de Nabil Karoui va valider le gouvernement. Les autres ? Tahya Tounes (10) semble aller vers le oui, le PDL (16) devrait voter le contraire d'Ennahdha (mais rien n'est sûr avec Abir Moussi), Echâab (16) a décidé de voter oui alors qu'Attayar (22) et Al Karama (19) ont décidé de voter non.
Rien n'est donc encore joué pour Hichem Mechichi qui s'est retrouvé malgré lui dans le rôle d'une poupée que la présidence de la République veut casser. S'il accepte le diktat de Carthage, et spécialement Nadya Akacha, il va devoir accepter la réintégration de Walid Zidi et le nom imposé de Kamel Omezzine. Il sera affaibli devant l'opinion pour qui il sera un simple Premier ministre marionnette. S'il veut s'imposer en tant que chef du gouvernement, seul décideur comme le mentionne la constitution, il va devoir composer avec une ceinture politique composée d'Ennahdha et tous les autres soutiens qui lui demanderont, inévitablement, d'être intégrés dans le gouvernement. Pauvre Hichem Mechichi, tout ça pour ça ?!