Il aura fallu que la rumeur enfle, que les députés dénoncent et les médias se saisissent de l'affairepour que la présidence de la République reconnaisse enfin avoir reçu un don de mille doses de vaccin chinois anti-Covid-19 de la part des Emirats - soit de quoi vacciner 500 personnes - et dit l'avoir mis à la disposition de la direction régionale de la santé militaire, sur ordre du chef de l'Etat. On notera évidemment que le président de la République n'avait pas les prérogatives pour décider quoi faire des vaccins reçus. Depuis cette annonce, l'affaire ne s'est pas tassée et les raisons sont multiples. D'abord si les choses étaient si simples et si « normales », pourquoi ne pas l'avoir annoncé avant – Kaïs Saïed n'est-il pas devenu le symbole de la transparence et de l'intégrité ? Ensuite si la présidence de la République a bien reçu un lot de vaccins, par quel circuit est-il passé si la présidence du gouvernement dit ne rien savoir de l'affaire ? Et enfin quelle est l'histoire des documents qui circulent depuis hier sur les réseaux montrant le cachet de la Douane apposé sur un bon de dédouanement d'un lot de mille doses de vaccin reçues de la part des EAU et qui ont transité par la Pharmacie centrale ? A lire également Le scandale des vaccins que la présidence veut étouffer
Donc, une heure après le communiqué de Carthage, la Kasbah a réagi à l'affaire du don de vaccins. La présidence du gouvernement annonçait l'ouverture d'une enquête pour « faire toute la lumière sur les circonstances de l'arrivée de ces vaccins », dont elle affirme « ne pas avoir été informée ». Le communiqué de la présidence du gouvernement a d'abord été mis en doute. Beaucoup l'ont accusée de vouloir duper les Tunisiens et d'avoir saisi l'opportunité inespérée de discréditer Kaïs Saïed. A lire également Don de vaccins - La présidence du gouvernement ouvre une enquête
En effet, on imaginait mal la présidence recevoir un lot de vaccin à travers un circuit parallèle et le document fuité prouvait que la Douane et la Pharmacie centrale en étaient tout à fait informées. On sait surtout que Moez Mokaddem, actuel directeur du cabinet de Hichem Mechichi était le PDG de la Pharmacie centrale jusqu'en 2018 et que la douane est dirigée par Youssef Zouaghi, proposé pour le ministère de la Justice, lors du récent remaniement ministériel. Ces deux personnalités sont très proches du chef du gouvernement et on peut avoir de sérieux doutes sur le fait qu'ils n'aient pas eu l'information et qu'ils n'en auraient pas parlé à leur supérieur.
Cela dit, certains éléments portent à croire que la présidence du gouvernement dit vrai et que c'est en fait la présidence de la République qui essaye de noyer le poisson. A lire également Sadok Jabnoun compare le scandale des vaccins au Watergate
D'abord le porte-parole de la direction générale des douanes Haythem Zanad a affirmé que la douane n'a reçu ni accordé récemment d'autorisation de et à aucune autorité diplomatique en Tunisie pour introduire le vaccin anti-Covid-19. Cela prouve donc que le document fuité et sur lequel les dates sont masquées est plutôt ancien.
Hier, la commission parlementaire des Tunisiens à l'étranger s'est réunie à l'ARP avec le Comité scientifique de lutte contre le Covid-19. Le comité a clairement indiqué qu'il n'avait connaissance d'aucun don de vaccins qu'aurait reçu la présidence, précisant toutefois qu'elle a accordé des autorisations aux ambassades, qui ont demandé à vacciner leurs employés et diplomates.
Tous ces éléments concordent donc dans le sens d'un lot de vaccins reçu à travers les circuits officiels pour être livré à l'ambassade des Emirats en Tunisie. Les dates floutées sur le document de la Douane ne peuvent être qu'une manœuvre très peu subtile pour écarter les doutes et brouiller les pistes. A lire également Scandale des vaccins - Kaïs Saïed : Nous avons besoin de vaccins anti-mensonges ! La présidence de la République a fort probablement reçu ce cadeau « empoisonné » de main en main et n'a pas souhaité révéler l'information. En agissant ainsi, le chef de l'Etat a failli à sa promesse principale, son leitmotiv, son credo électoral et sa principale, si ce n'est unique, qualité aux yeux de ses électeurs : son intégrité. Le plus drôle dans l'affaire est qu'on parle de 500 vaccins (il faut inoculer deux doses pour chaque personne lors de la vaccination), un chiffre dérisoire, qui fait honte à celui qui l'a « offert » autant qu'à celui qui l'a accepté.
M.B.Z
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