Islamistes et prétendus révolutionnaires sont vent debout pour défendre le député islamiste radical Rached Khiari et dire que le Tribunal militaire n'est pas compétent pour le juger. Samir Ben Amor, Rafik Abdessalem, Seïf Eddine Makhlouf, Abdellatif Aloui et bien d'autres estiment que Rached Khiari est un civil qui ne peut être jugé que par un tribunal civil. Ils accusent Kaïs Saïed d'être un dictateur, inspiré par son nouvel ami le président Abdelfattah Sissi, quand il a saisi le tribunal militaire pour juger Rached Khiari. Sur les réseaux sociaux, l'argument est balayé d'un revers par les internautes qui affirment que ce n'est quand même pas le tribunal foncier qui va juger une pareille affaire. Loin du capharnaüm facebookien, il est bon de rappeler que les accusations portées par le parquet militaire contre Rached Khiari sont de l'exclusive compétence du tribunal militaire. Il s'agit notamment de l'accusation de complot contre l'Etat. Il y a un précédent à cela, Chafik Jarraya. Quand Chafik Jarraya a été arrêté, aucun des défenseurs de Rached Khiari n'a dit que le tribunal militaire n'était pas compétent pour le juger. Certains parmi ses défenseurs évoquent la liberté d'expression et disent qu'on ne peut pas juger quelqu'un pour ses idées. Ceci est vrai sur le principe. Le décret-loi 115 relatif à la presse n'a rien de liberticide et ne comporte quasiment pas de peines privatives de liberté. Il comporte cependant quelques exceptions dont notamment les publications qui incitent à l'atteinte à l'intégrité physique de l'homme, au viol ou au pillage (article 51) ou encore à la haine entre les races, les religions, ou les populations. Ce sont là les cas où le législateur tunisien prévoit des peines privatives de liberté (art 52). La dernière vidéo de Rached Khiari tombe sans aucun doute sous cet article 52 qui prévoit d'un à trois ans de prison. L'acte d'accusation a anticipé cela et a épinglé Rached Khiari pour incitation à la haine et à pousser la population à s'attaquer mutuellement avec des armes, ce qui le met d'office (pour ce seul acte) sous l'article 52 du code de la presse. Enfin, les défenseurs parlent de vengeance présidentielle et du fait qu'il soit juge et partie puisqu'ils estiment que le parquet militaire est sous les ordres directs du président de la République et chef suprême des armées. Ceci est faux, car le parquet est, certes, hiérarchiquement sous le président de la République, mais il reste (théoriquement) indépendant. En pratique, il sera impossible de démontrer que les magistrats du parquet sont devenus de simples exécutants de Kaïs Saïed. N'empêche, cela n'a rien d'une première, il y a déjà deux précédents où le parquet militaire a jugé des civils ayant une confrontation directe avec le pouvoir exécutif. Il y a le cas d'Ayoub Massoudi, ancien conseiller de Moncef Marzouki quand il était président de la République. Il a été traduit devant le tribunal militaire dans une affaire montée de toutes pièces par son chef. A l'époque, ni Samir Ben Amor, ni Seïf Eddine Makhlouf, ni Abdellatif Aloui, ni Rafik Abdessalem n'avaient ouvert le bec pour défendre Ayoub Massoudi. Il y a aussi le cas de Yassine Ayari, condamné à de la prison ferme, suite à une plainte déposée par l'ancien ministre de la Défense Ghazi Jeribi. C'était en 2014 et on était sous la présidence de Moncef Marzouki qui n'a pas bougé le petit doigt pour libérer l'actuel député. Il a fallu attendre l'élection de Béji Caïd Essebsi pour mettre fin à son emprisonnement avec une grâce spéciale. Le cas de Rached Khiari est hautement plus grave que ceux d'Ayoub Massoudi et de Yassine Ayari. Cela fait des mois que Rached Khiari injurie le président de la République et l'accuse de haute trahison et de soumission à des pays étrangers (Etats-Unis, France, Iran). Cela fait des mois qu'il harcèle, avec des publications et des vidéos, sa cheffe de cabinet Nadia Akacha allant jusqu'à toucher son honneur. La présidence de la République n'est pas la seule à subir les diffamations et les attaques du député islamiste radical, tous les militants laïcs et francophones en ont eu pour leur grade. Les derniers en date sont la chroniqueuse et avocate Maya Ksouri et le député d'Attayar Mohamed Ammar qui a été enregistré à son insu dans son domicile. La dernière vidéo a dépassé tout entendement puisque Rached Khiari accuse, sans preuves, le président de la République de haute trahison et d'avoir touché des millions de dollars pour sa campagne électorale. Il s'agit là d'une ignominie que le président de la République ne pouvait pas laisser passer, surtout quand il sait que le député n'est qu'une marionnette entre les mains de la partie qui l'alimente en documents et intox. Kaïs Saïed aurait pu saisir le tribunal civil, certes, mais il se trouve que l'accusation de haute trahison est de la compétence du tribunal militaire. Et puis, comme chacun sait, le tribunal civil a montré ses limites dans les affaires touchant des députés. Plusieurs parmi les élus du peuple ont refusé de se présenter devant le parquet quand ils ont été convoqués. Rached Khiari fait partie de ces députés qui ont envoyé balader le parquet, sous prétexte d'immunité parlementaire (affaire de Mohamed Ammar), tout comme Seïf Eddine Makhlouf et Abdellatif Aloui (affaire de l'aéroport). Face à cet état de faits, Kaïs Saïed n'avait plus que deux choix, soit saisir le tribunal militaire pour obtenir justice, comme l'a fait Moncef Marzouki, soit ne rien faire comme c'était le cas de Béji Caïd Essebsi. Il a fait le premier choix.