Un ressortissant égyptien, pourtant très populaire, a payé les frais de son honnêteté il y a quelques jours. Sur sa page personnelle, très suivie par les Tunisiens, il s'était risqué à une critique acerbe de la société tunisienne. Pauvre de lui ! Son statut intitulé « comment guérir de l'amour de la Tunisie », lui a valu d'être vilipendé et lynché sur la place publique. Brulez sur un bucher cet homme qui a osé dire tout haut ce que chacun de nous répète à longueur de journée ! C'est que nous, Tunisiens, aimons tellement ce petit pays que nous ne supportons pas qu'un étranger vienne nous jeter en face nos pires travers. Nous avons tellement honte que nous refusons de voir, nous-mêmes, la vérité en face.
Difficile en effet d'être Tunisien lorsque nous croyons avoir en face de nous une image abjecte qui nous vient d'un lointain pays en guerre, pour nous rendre compte, au final, que la scène se déroule sous nos cieux. Qu'un jeune homme est victime de la hargne policière et privé de ses vêtements - et de sa dignité - à quelques kilomètres de là où nous prenons notre petit café, où nous conduisons nos enfants à l'école et où nous travaillons pour nous garantir un soupçon de vie digne.
Difficile d'être Tunisien lorsque notre chef du gouvernement, sommet de l'exécutif – et du pouvoir (en théorie) – dans notre pays, courbe l'échine devant un chef de l'Etat qui le convoque pour le sermonner. Lui, ce petit garçon turbulent qui aurait, une fois de trop, cassé un carreau en jouant au ballon. Et, qu'après cela, il ne se redresse pas pour partir dans la dignité, mais continue de clamer haut et fort qu'il n'a pas échoué, préférant parler de calculs politiques et de lamentations plutôt que d'avouer qu'il existe un véritable problème. La culture de la démission ne fait pas partie de nos traditions. Nous préférons plutôt continuer à être dans le déni.
Difficile aussi de voir en Une de l'un des plus sérieux journaux arabophones du pays l'image d'un pays symbolisée à travers la marche des singes de l'évolution qui montre nos trois présidences en ligne avec le titre « en arrière toute ». Triste à quel point cette image symbolise notre réalité, la fin de toutes nos espérances et le début de notre déliquescence.
Difficile aussi de regarder les images d'une manifestation organisée pour dénoncer cette violence policière devenir, elle-même, le théâtre des mêmes violences pour lesquelles on s'était indigné deux jours plus tôt. Lorsque l'Etat devient bourreau et que l'impunité est la règle, il ne reste plus qu'à se faire justice soi-même. C'est ce qui rend certains quartiers « dits sensibles » de devenir de véritables nids de guêpes dans lesquels c'est la loi de la jungle qui règne. Permettant, ainsi, aux agents de l'ordre de laisser libre cours à leurs pulsions criminelles et autoritaires – en partie – pour se protéger eux-mêmes.
Hichem Mechichi peut continuer à faire l'autruche et refuser d'appeler les choses par leurs noms. Nous ne le ferons pas. Lui a peur de perdre son poste - et de perdre et la face – puisqu'il n'est là que grâce à un colmatage politique. Mais, qui aura enfin le courage d'appeler les choses par leurs noms ? D'admettre enfin que la violence et l'impunité sont aujourd'hui devenues une politique d'Etat. Tout comme un député – dont le salaire continue à être payé par le contribuable – est actuellement en fuite ; tout comme des jeunes gens meurent dans des circonstances mystérieuses en garde à vue ; tout comme les affaires de corruption et de malversation et les abus de justice se succèdent, se ressemblent et sont tues… Ce ne sont plus des excuses qui sont attendues aujourd'hui, ce stade est révolu depuis longtemps, mais des démissions. Pour l'instant, personne n'a ce courage…encore moins cette conscience…