Ma boulimie livresque m'amène hier comme souvent dans une librairie de seconde main montréalaise. J'y fourrage minutieusement et trouve, dans un rayon « Histoire » assez dégarni, les « Mémoires d'Espoir » du Général de Gaulle, qui content le récit de son accession au pouvoir et son exercice de 1958 à 1962. Le premier chapitre titré « Les institutions » évoque pour moi notre situation tunisienne et le rôle fondamental que doit assumer Kaïs Saïed. Il révèle que, parfois, les peuples font appel à des hommes providentiels pour rétablir leur dignité éprouvée par les opportunistes de tout bord.
Peut-être que nos francophiles, qui cherchent à Paris plus qu'à Carthage la légitimité de notre évolution historique, sauront trouver un peu de repos dans les citations du Vieux Charles. Le peuple, lui, est déjà soulagé en attendant l'avenir.
1) Les premières pages édifient sans concession la morgue qu'inspirent au Général les partis de la IVème république : « si j'étais convaincu, écrit-il, que la souveraineté appartient au peuple dès lors qu'il s'exprime librement et dans son ensemble, je n'admettais pas qu'elle pût être morcelée entre les intérêts différents représentés par les partis ».
2) Il est aussi lucide face à la mission qui lui incombe lorsque la France, au bord de la guerre civile pendant la crise algérienne, s'apprête à le rappeler à sa tête.
Se racontant à la 3ème personne comme pour exprimer qu'il est guidé par une force supérieure, il dit : « Au mois de mai 1958, à la veille d'un déchirement désastreux de la nation et devant l'anéantissement du système prétendument responsable, de Gaulle, notoire à présent, mais n'ayant pour moyen que sa légitimité, doit prendre en charge le destin ». N'ayant pour moyen que sa légitimité…
3) Toutefois, il se questionne : « Mais alors, vais-je m'en tenir à rétablir dans l'immédiat une certaine autorité du pouvoir, […] puis à me retirer en rouvrant à un système politique détestable une carrière de nouveau dégagée ? Ou bien vais-je saisir l'occasion historique que m'offre la déconfiture des partis pour doter l'Etat d'institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante-neuf ans ? ».
Pour Kaïs Saïed, aussi, « l'occasion historique » se présenta. Comme de Gaulle, il la saisit.
4) Une fois décidé, son plan est clair : « pleins pouvoirs, puis congé donné au Parlement, enfin Constitution nouvelle à préparer par mon gouvernement et à soumettre au référendum ».
5) Aux yeux de de Gaulle comme à ceux de Saïed, le peuple possède les mêmes aspirations : « il s'agit d'instituer un régime qui, tout en respectant nos libertés, soit capable d'action et de responsabilité. Il s'agit d'avoir un gouvernement qui veuille et puisse résoudre effectivement les problèmes qui sont posés ».
Kaïs Saïed a répondu à l'appel de l'Histoire. Pour construire une Tunisie stable et souveraine, indépendante des diktats étrangers, notamment ceux de la France, son modèle, paradoxalement, est celui du Général de Gaulle. L'Histoire aime jouer de l'ironie.
La Constitution de la Vème République fut approuvée le 28 septembre 1958 par 79% des Français et entra en vigueur le 4 octobre. Le 3 octobre 2021, un sondage Emrhod révèle que les Tunisiens sont satisfaits du rendement de Kaïs Saïed par la même proportion. Autre clin d'œil.
Suivant l'échec ou le succès du Président, nous dirons qu'il s'agit de hasards cruels ou d'une leçon renouvelée de l'Histoire.
Quoiqu'il en soit, comme son prédécesseur de l'autre rive de la Méditerranée, « c'est en un temps de toutes parts sollicité par la médiocrité » que Kaïs Saïed devra « agir pour la grandeur ».
*Saoud Maherzi : Conseiller en stratégie et transformation organisationnelle