Courte pensée à tous les partisans de Kaïs Saïed qui multiplient, depuis dimanche 6 février, les publications pour défendre la mesure présidentielle de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ils ont trouvé toutes les excuses pour casser cette institution constitutionnelle et démontrer son inutilité. 72 heures après, voilà que le président se rétracte et décide que le CSM ne sera finalement pas dissous. Il va nommer provisoirement d'autres membres à sa tête et on modifiera la loi le régissant. Comment expliquer ce rétropédalage ? Dans la nuit du samedi à dimanche 6 février, depuis le ministère de l'Intérieur, Kaïs Saïed déclare sans ambiguïté que le CSM a été dissous et qu'il fait désormais partie du passé. La décision semble tellement surréaliste que plusieurs ont mis en doute les propos présidentiels. A commencer par le bâtonnier Brahim Bouderbala qui a multiplié les interventions médiatiques pour affirmer que le CSM n'a pas été dissous et que seule sa composition allait être modifiée. La police qui encercle, depuis dimanche, le siège du CSM à la cité Jardins ? « Elle est là à notre demande pour nous protéger », affirme le président du CSM, Youssef Bouzakher. La polémique est grande et on ne sait plus quoi croire. Lundi matin, des magistrats du CSM tentent d'accéder au siège, mais ils sont empêchés par la police. On fait constater l'interdiction par un huissier de justice et on répète la même chose mardi matin. Le bâtonnier continue ses interventions pour affirmer que « non, le CSM n'a pas été dissous. Les magistrats tentent de diaboliser Kaïs Saïed ». « Mais bien sûr qu'il a été dissous, le CSM et toutes les institutions nées grâce à la constitution de 2014 ne servent à rien et ont détruit l'Etat », répètent en chœur les partisans du président. Lundi soir, le président de la République reçoit sa cheffe du gouvernement et affirme, une nouvelle fois sans ambigüité, que le CSM a été dissous. Y a-t-il encore des doutes ?
La confirmation de la dissolution ouvre grande la voie aux réactions officielles. Les magistrats, à travers leur association, décident une grève de deux jours en attendant une réunion, le week-end prochain, pour les prochaines étapes. Ce ne sont pas eux qui vont intimider le président. L'agacement vient de l'étranger. Les Européens ouvrent le bal, dès lundi 7 février, pour faire part de leur préoccupation par la décision de Saïed, suivis quelques heures plus tard par les Américains qui affirment leur profonde inquiétude pour l'indépendance de la justice tunisienne. Mardi matin, les ambassadeurs du G7 à Tunisie ainsi que le représentant de l'Union européenne publient un communiqué conjoint pour faire part de leur profonde préoccupation. Un communiqué publié immédiatement par les sites et les pages FB des ambassades et relayé par les agences de presse internationales. En mode panique, le ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi, « convoque » l'après-midi les ambassadeurs pour leur expliquer les véritables raisons de la dissolution. Ils sont priés de ne pas croire aux bobards véhiculés par ceux qui veulent du mal de la Tunisie. Sauf que les ambassadeurs n'ont pas besoin de croire à ce qui se dit, il leur suffit d'écouter le président. « Ses mensonges sont grossiers et sa piètre attitude est risible, ça fait vraiment mal pour la Tunisie», affirme l'un des présents.
Les réactions internationales à la dissolution du CSM ont fait peur à Kaïs Saïed qui a besoin des pays du G7 pour soutenir la demande de prêt que la Tunisie s'apprête à déposer auprès du FMI. Sans ce prêt, impossible de boucler le budget de l'Etat 2022. D'après les prévisions du gouvernement, ce prêt doit être versé à la Tunisie avant la fin du mois de mars. Nous sommes le 10 février et la demande n'a toujours pas été déposée ! C'est clair, le timing de la dissolution du CSM est des plus mauvais et Kaïs Saïed se doit de se rétracter. Comment va-t-il faire tout en sauvant la face ? Il agit en trois actes. Mercredi 9 février, il convoque sa cheffe du gouvernement, pour la deuxième fois en 48 heures. Ses propos sont filmés et destinés à la consommation locale. Il y épingle tous ceux qui veulent du mal à la Tunisie et cherchent à appauvrir le peuple en le renvoyant à l'avant ou l'après 2010. Juste après, il reçoit le ministre des Affaires étrangères à qui il rappelle que la Tunisie est souveraine et maîtresse de ses décisions. Ses propos sont également filmés et destinés à la consommation locale. Il se moque ouvertement de tous ces pays qui s'inquiètent et font part de leur préoccupation. «Pourquoi ne l'étaient-ils pas lorsque la justice n'était pas instaurée en Tunisie, ou lorsque des millions et des milliards étaient dérobés ? (…) Et certains se disent préoccupés, comme si la dissolution du CSM les avait empêchés de dormir la nuit ! » Il affirme qu'il connait mieux qu'eux les accords et les conventions internationales, il rappelle la corruption de certains magistrats et affirme que l'un d'eux aurait placé 80 millions d'euros au Luxembourg et épingle, une nouvelle fois les agences de notation internationales qui se positionnent en enseignants notant des élèves. « Non, nous ne sommes pas des élèves ! », a martelé le président devant un Othman Jerandi hochant de la tête. Le troisième acte, et c'est lui le plus intéressant, est juste filmé, sans le son. Il n'est visiblement pas destiné à la consommation locale et c'est là où l'on conclut du rétropédalage partiel présidentiel. En recevant la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, il lui affirme qu'un conseil provisoire va être créé pour gérer les affaires urgentes en attendant l'installation d'un nouveau conseil, conformément aux dispositions d'une nouvelle loi le régissant. En clair, il va publier un décret pour faire tomber une loi, ce qui est légalement impossible. Ce nouveau décret devrait être discuté cet après-midi, jeudi 10 février, en conseil des ministres. Le président observe donc un rétropédalage et revient sur sa décision de dissoudre le CSM. Il va juste changer sa composition et ses prérogatives. Ceci est, bien entendu, illégal et c'est une ingérence dans le pouvoir judiciaire. « Non, balaie le président, la justice est une fonction, il n'y a pas de pouvoir. Même les Français débattent autour de pouvoir et d'autorité ! ». Peu importe, le fait est que le président s'est rétracté en partie dans sa décision. On doute fort que les étrangers vont accepter ce rétropédalage, mais sur le plan local, on n'y croit même pas. La magistrate et présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens, Raoudha Karafi a affirmé ce matin que dire que le CSM n'est pas dissous est une déformation de la réalité. « L'opinion publique ne doit pas tomber dans ce piège », a-t-elle averti. Mme Karafi a souligné l'importance d'empêcher le pouvoir exécutif et politique de contrôler le pouvoir judiciaire. Qu'il l'ait dissout ou qu'il change sa composition et sa réglementation, le président de la République s'est immiscé, de fait, dans le pouvoir judiciaire et a touché à son indépendance. C'est ce point précis qui fait peur aux étrangers, partenaires de la Tunisie. Que le président se moque d'eux ouvertement devant la caméra et feint de faire ce qu'ils demandent ensuite ne change donc en rien la situation finale. Si Kaïs Saïed veut garder intactes ses relations avec les partenaires étrangers de la Tunisie et les donateurs internationaux, il se doit obligatoirement de se rétracter totalement et de donner l'ordre à sa police de cesser l'encerclement du siège du CSM et de laisser ses membres y accéder. A défaut, il n'obtiendra aucun soutien étranger et devra trouver un plan B pour financer son budget. Un plan B que sa ministre des Finances n'a pas encore…