Au cours du discours du 17 août 2022 prononcé à l'occasion de la ratification de la nouvelle constitution, le chef de l'Etat Kaïs Saïed n'a pas pu s'empêcher de s'en prendre à ses opposants et de critiquer encore et encore l'attitude des politiciens, mais aussi des magistrats. Fidèle à ses longs discours sans queue ni tête et réinventant encore une fois les règles et principes du droit, Kaïs Saïed a tenu à s'autoproclamer pouvoir constitutif ! Le président de la République a évoqué une décision du Tribunal administratif datant de 2013, c'est-à-dire, en temps de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Le tribunal avait affirmé, en ce temps-là, que les décisions émanant de l'ANC dans le cadre de son rôle constitutif, législatif ou de contrôle n'étaient pas du ressort du juge administratif. Il s'agit là d'une allusion plus que claire à la récente décision du Tribunal administratif concernant l'affaire de révocation par décret présidentiel de 57 magistrats. La cour avait donné raison à 49 magistrats et avait ordonné le sursis d'exécution de la décision de révocation annoncée par Kaïs Saïed. La comparaison entre les deux affaires et non-seulement surprenante, mais aussi impensable. Le chef de l'Etat n'est que l'un des chefs du pouvoir exécutif. Or, l'ANC est la seule entité constituante reconnaissable d'un point de vue juridique mais aussi politique. Le recours au Tribunal administratif, en 2013, portait sur des questions rattachées au rôle législatif et constitutif de l'assemblée. La présidence de la République est loin d'être une entité constituante. Le président de la République devrait penser à réviser ses cours de droit. D'un autre côté, le recours des magistrats dans l'affaire de révocation porte sur une révocation, soit une décision purement administrative. Toute personne ayant suivi le plus banal des cursus académiques en matière de droit et de sciences juridiques a appris que le Tribunal administratif jugeait les litiges entre les particuliers et les administrations. D'ailleurs, il ne devrait pas exister d'autres structures ayant le même rôle. La décision de révocation est une décision administrative émanant d'une entité administrative au sommet du pouvoir exécutif. La décision concerne des citoyens donc des particuliers ! L'explication est boiteuse et inutile, mais certains, malgré leur expérience et leur "maîtrise" des règles du droit ne sembleraient pas comprendre ces évidences.
Le plus hilarant dans tout cela reste la théorie à laquelle le président de la République (ou de ce qui en reste de République) avait fait référence. Il s'agit de la théorie de classement hiérarchique des normes. Celle-ci avait été élaborée par le célèbre juriste Hans Kelsen. Cette théorie explique que les différentes normes et sources de règles juridiques pouvaient être classées sous la forme d'une pyramide. Le classement hiérarchique des normes d'un système juridique et établi en fonction de leur valeur. Hans Kelsen avait posé au sommet de cette pyramide la constitution comme ultime source de normes. A la base, soit tout en bas, se trouve les décrets et les décisions administratives. Le chef de l'Etat a, donc, fait référence à une théorie en opposition avec le processus entamé depuis le 25 juillet 2021. Il a, rappelons-le, émis un décret pour suspendre une partie de la Constitution de 2014, appeler à un référendum, réviser la loi électorale et poser l'interdiction de recours à l'encontre de ses décisions. Or, selon la même théorie, un décret ne peut pas être supérieur à une loi ou à une constitution. N'est-il pas conscient de l'absurdité de cet argumentaire ou cherche-t-il à duper le peuple et à induire les citoyens en erreur ? Le chef de l'Etat continue à remodeler le droit en sa faveur afin de renforcer son contrôle du pays et de dissuader ses opposants.