L'ancien ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khadmi, a été interdit de voyage une nouvelle fois, jeudi 18 août. C'est la septième fois, d'après ses déclarations. Le ministère de l'Intérieur ne s'est pas prononcé, pour le moment, sur son cas, malgré la polémique qu'il a déclenchée sur les réseaux sociaux et la lettre ouverte qu'il a adressée au président de la République. Noureddine Khadmi n'est pas le seul à subir cette mesure restrictive. Il y a trois jours, la députée d'Attayar Amal Saïdi a été, elle aussi, interdite de voyage sans raison. Cette mesure restrictive et administrative a toujours existé en Tunisie, avant et après la révolution, avant et après le putsch du 25-Juillet. Elle est couramment appelée S17. Sous Ben Ali, elle visait les militants opposés au régime despotique. Après la révolution, les frontières ont été ouvertes totalement (à l'exception de ceux interdits de voyage par une décision judiciaire en bonne et due forme), notamment sous le régime de la troïka. Avec l'arrivée du défunt Béji Caïd Essebsi au pouvoir, la mesure administrative d'interdiction de voyage a de nouveau été mise en application. La raison est toute justifiée, bien que contraire aux lois en vigueur. Des milliers de Tunisiens ont rejoint les camps terroristes de Daech, ce qui a déclenché un tollé aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Comment distinguer les voyageurs ordinaires des candidats au jihad et au terrorisme ? L'autorité de l'époque n'a pas trouvé mieux que de piocher dans les fichiers de renseignement du ministère de l'Intérieur pour interdire de voyage les éventuels terroristes. Arbitraire ? C'est certain, mais c'était la seule façon qu'ont trouvée les autorités pour arrêter l'hémorragie. Puisque la majorité des interdits de voyage étaient islamistes, il n'était pas rare que ces derniers fassent appel aux députés d'Ennahdha pour se faire pistonner et partir à l'étranger. A ce sujet, l'ancienne députée Yamina Zoghlami s'est faite une spécialité de forcer la police des frontières à laisser partir des jeunes fichés S17. Elle se targuait carrément d'être au-dessus du chef du gouvernement et qu'il était dans ses prérogatives d'agir ainsi. A-t-elle laissé partir des candidats au terrorisme ? C'est possible.
Après le décès de Béji Caïd Essebsi et les élections de 2019, les islamistes d'Ennahdha ont délégué cette mission à leur « pare-chocs », les islamistes radicaux d'Al Karama. A la toute première interdiction de voyage opposée à une femme voilée, les députés d'Al Karama sont partis en masse faire le show à l'aéroport. Leur président Seïf Eddine Makhlouf criait dans l'aérogare pour dire qu'il va mettre un terme au S17, tentant de forcer la police des frontières à laisser partir cette femme voilée. Sauf que les agents de la police des frontières ne se sont pas laissé intimider cette fois, ont refusé catégoriquement de laisser partir la dame et ont éjecté Makhlouf et les autres députés de l'aéroport. Ils ont été soutenus, le jour même, par leur ministre de l'Intérieur et chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Seïf Eddine Makhlouf a beau ensuite crier au scandale, à la violation de la loi et au fait que l'interdiction de voyage ne devait être prononcée que par un juge, le ministère de l'Intérieur n'a pas changé sa politique d'un iota. Il continuait à interdire de voyage toute personne susceptible de nuire à l'image de la Tunisie à l'étranger.
Le putsch du 25-Juillet a été un tournant et la mesure S17 a été élargie à des milliers de personnes. Pêle-mêle, personnalités politiques, chefs d'entreprises, anciens ministres ou hauts cadres de l'Etat étaient interdits de voyage. Il y en a même qu'on a fait descendre de l'avion alors que celui-ci a quitté son emplacement et s'apprêtait à décoller. La mesure a été observée durant quelques semaines avant d'être levée partiellement. On n'entend plus parler tous les jours d'interdiction de voyage, certes, mais il est clair que la mesure est toujours de mise puisque, de temps à autre, il y a une personnalité politique qui sort dans les médias pour se plaindre de la police des frontières qui l'empêche de voyager alors qu'il n'y a aucune décision ou procédure judiciaire à leur encontre. C'est le cas de Mme Saïdi ou de M. Khadmi. Doit-on crier au scandale ou accepter ce diktat du ministère de l'Intérieur qui décide, tout seul, des libertés des citoyens ? Bien que le débat mérite d'être lancé sur la place publique, cela fait défaut. Le ministère de l'Intérieur a certainement ses raisons justifiant l'interdiction de voyage de X ou de Y, mais il ne les communique jamais. En tout état de cause, il n'y a pas de décision judiciaire justifiant l'interdiction et c'est là tout le problème. Si les magistrats avaient bien fait leur travail, on n'en serait pas là !
Le cas de Noureddine Khadmi démontre à lui seul qu'il y a un problème dans le système. Le ministère de l'Intérieur décide tout seul de l'interdiction de voyage, alors que celle-ci aurait dû être signifiée par un juge depuis des années. Il est bon de rappeler que celui qui se présente comme imam et cheïkh fait partie de ceux qui ont appelé au jihad. Ses prêches radicaux et ses appels haineux contre les opposants aux islamistes sont encore dans les mémoires. Comment se fait-il que la justice ne se soit toujours pas occupée de son cas ? Ce type est dangereux et a causé du préjudice au pays. Sa place n'est pas à l'aéroport, elle doit être devant les tribunaux, pour répondre de ses actes. Comme lui, il y a l'imam Ridha Jaouadi, député indépendant élu sur les listes d'Al Karama. Un an après le putsch du 25-Juillet, il continue encore à échapper à la justice, en dépit des plaintes déposées contre lui. Des plaintes en rapport avec ses prêches et ses appels au jihad. Mohamed Affes, médecin, imam et député d'Al Karama fait également partie de ces cheïkhs connus pour leurs prêches radicaux. Et en dépit des plaintes déposées contre lui, il continue à échapper à la justice. Le cas de Saïd Jaziri est le plus scandaleux de tous. Cet imam député d'Errahma a fondé une radio pirate, a importé illégalement du matériel de transmission et fait l'objet de plusieurs plaintes, dont certaines au pénal. En dépit de ces violations de la loi, en dépit des plaintes et en dépit de ses prêches radicaux, il continue à jouir de sa liberté.
La question que tout Tunisien doit se poser maintenant, doit-on laisser ces gens partir à l'étranger librement puisque la justice n'a rien prononcé contre eux ou doit-on appliquer une mesure de précaution en les empêchant de voyager ? Le ministère de l'Intérieur n'a pas attendu la réponse pour agir. Profitant de l'ambiance despotique du pays, il a repris ses vieilles habitudes d'avant la révolution. A la différence que la cause semble bonne cette fois. Elle demeure, toutefois, illégale. Pour éviter cette illégalité, pour éviter des scandales à répétition dans l'enceinte de l'aéroport, il est évident que l'appareil judiciaire doit agir en se prononçant rapidement contre tous ces cheïkhs et ces imams connus pour leur prêches radicaux et qui sont impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans l'envoi de Tunisiens dans les camps terroristes.