Encore une fois, le chef de l'Etat est à côté de la plaque, c'est à se demander que font ses conseillers. En effet, pour lui l'importation de produits de luxe est derrière le déséquilibre de la balance commerciale avec un certain nombre de pays, ce qui est de nature à nuire aux finances publiques. Dans sa ligne de mire la nourriture des animaux domestiques ou les produits de beauté des plus grandes maisons cosmétiques. Or, cela n'est pas vrai. Pire, le secteur du luxe est pourvoyeur d'emplois et de recettes pour l'Etat. Explications. Le déficit de la balance commerciale s'est aggravé de 61,25% pour les huit premiers mois de 2022. Il s'est établi à -16.899 millions de dinars (MD) fin août 2022 contre -10.480 MD une année auparavant, en se référant aux chiffres publiés par l'Institut national de la statistique (INS). Selon la même source, la part du lion dans ce déficit revient au déséquilibre entre importation et exportation de la matière première et semi-produits. Il représente 38,95% du déficit global. Ensuite, nous avons le déficit énergétique qui s'accapare 35,71% du déficit total puis le déficit alimentaire qui représente 12,74% du déficit total. Ces trois rubriques cumulent à elles seules 87,74% du déficit global. Ainsi, il s'avère que l'impact de l'importation des produits de luxe n'est pas autant significatif que le prétend le chef de l'Etat ou qu'avancent les membres du Harak du 25 juillet, en énonçant des chiffres qui paraissent importants mais sont négligeables en comparaison avec le déficit global et le budget de l'Etat.
Il faut savoir que l'intérêt économique prime parfois sur certains autres objectifs. Il faut être conscient que le secteur du luxe est un pourvoyeur d'emplois et de recettes pour l'Etat. A titre d'exemple, le secteur de la vente des cosmétiques et des parfums visé par le chef de l'Etat emploie des jeunes et des femmes, qui sont bien rémunérés par rapport à d'autres secteurs. Idem pour les animaleries. Mieux, avec les produits de luxe l'Etat renfloue ses caisses, les taxations allant jusqu'à 320% pour certains produits. Ça permet aussi de garantir l'équité sociale chère au cœur du chef de l'Etat. Ainsi, plus la gamme du produit augmente, plus il est taxé. A titre d'exemple, le kilo de pâtes bénéficie de la compensation, donc l'Etat paye pour fournir ce bien aux Tunisiens. Or, un kilo de pâtes importées ne bénéficie pas de la compensation, bien au contraire ça permet à l'Etat d'engranger des recettes supplémentaires et de combler une partie de la compensation. Cela est valable pour tous les produits de luxe importés ou pas, l'Etat est gagnant à 100%. D'ailleurs, c'est ce que fait l'Etat lui-même. Par exemple et en ayant le monopole du sucre, l'Office du commerce le vend au citoyen avec une compensation et aux industriels avec une marge bénéficiaire ce qui permet de réduire, théoriquement, le déficit de l'Office.
Il y a également une partie invisible dans l'iceberg. Le secteur englobe des sociétés d'importation, des transitaires, des transporteurs, des petits commerces éparpillés sur le territoire et même des ménagères qui vendent certains produits cosmétiques (vente sur catalogue opérée par plusieurs marques) pour arrondir leurs fins de mois. D'autres secteurs seront touchés par ricochet notamment le secteur bancaire et celui des assurances.
Supposons que le gouvernement interdit ou réduit significativement l'importation des produits de luxe, que va-t-il se produire ? Cela bénéficiera tout simplement au marché parallèle. C'est systématique, à chaque fois que l'Etat a fait pression sur le secteur officiel, le secteur informel en a bénéficié et s'est rempli ses poches. Pire, l'Etat sera privé des recettes qu'il engrangeait alors qu'il en a besoin en ces temps de crise. Bien sûr, des sociétés fermeront leur porte et des employés seront mis au chômage.
Alors pourquoi ces pénuries et le manque d'approvisionnement à répétition ? Tout simplement parce que l'Etat manque de moyens et que les fournisseurs étrangers n'ont plus confiance en la Tunisie et exigent un paiement immédiat. Rappelons que la Loi de finances 2022 a était bâtie sur l'hypothèse de la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) avant la fin du premier trimestre. Et donc, l'Etat a besoin de ces fonds pour clôturer le budget 2022. Ainsi et à cause des retards des paiements à ses fournisseurs tunisiens et étrangers, la Tunisie n'est plus solvable. Désormais, les fournisseurs demandent à être payés avant de livrer la marchandise pour garantir leur paiement. En effet, plusieurs entreprises et organisations publiques ayant le monopole d'importation sont dans le viseur. C'est le cas de la Stir, qui a le monopole de l'importation du carburant, de l'Office du commerce de Tunisie (OCT) qui a le monopole de l'importation des produits de bases (sucre, café, thé, …), l'Office national de l'huile, qui a le monopole de l'importation de l'huile, l'Office des Céréales qui a le monopole d'importation des céréales, la Pharmacie centrale, qui a le monopole d'importation des médicaments, … . Désormais, leurs fournisseurs exigent que toute livraison se fasse en cash. A maintes reprises, le gouvernement a dû recourir au stock de sécurité pour le carburant, le lait, etc. Côté fournisseurs tunisiens, plusieurs secteurs sont touchés de plein fouet par le manque d'approvisionnement (les industriels de l'huile, les industries de boissons gazeuses, les industries de biscuits, …) et d'autres sont les victimes des impayés de l'Etat ou de la non-augmentation des marges bénéficiaires comme les professionnels du lait, les boulangers, les propriétaires de stations-service, etc.
Concrètement, arrêter l'importation des parfums et des produits animaliers ou carrément les produits de luxe ne résoud rien. La Tunisie souffre de problèmes structurels. Au contraire, son seul soutien aujourd'hui est le secteur privé, qui tente tant bien que mal de pousser la locomotive de l'économie, malgré toutes les entraves de l'Etat. S'attaquer à lui, c'est mettre à genoux le pays. Pour relancer la machine économique et avec le poids du secteur public et ses lacunes, le gouvernement doit lever les entraves au secteur privé pour qu'il puisse créer de la richesse et de l'emploi. Cela dit, tôt ou tard il devra s'attaquer aux vrais problèmes du pays : la restructuration des entreprises publiques, la baisse de la masse salariale et œuvrer pour une meilleure gouvernance de la compensation.
Le pays est dos au mur et doit engager les réformes qui s'imposent pour sauver le pays. Ce n'est plus un choix mais un impératif, non pas dicté par le FMI ou une autre instance ou pays, mais uniquement par le bon sens. La Tunisie doit maîtriser ses dépenses et les orienter à l'amélioration des conditions de vie (infrastructure, éducation, santé, etc.) et ne plus se contenter de verser les salaires et combler le déficit des entreprises publiques déficitaires. Plus que jamais, le pays a besoin d'entamer des réformes structurelles et de mettre en place un plan stratégique, permettant le changement du modèle économique. Ce qui permettra de drainer les financements nécessaires à ce changement de cap, pour une Tunisie meilleure.