Alors qu'il fait croire qu'il est sur une autoroute, le chef de l'Etat ne cesse de multiplier les volte-face. Il publie un texte, rédigé unilatéralement et sans consultation, avant de décider de l'amender. Il donne l'ordre de mettre des personnes en prison, dans des circonstances théâtrales, avant de finir par les libérer… Dépassé par une situation qui lui échappe, il se retrouve bien souvent à rattraper ses propres décisi et à rafistoler… Hier soir, vendredi 7 octobre 2022, face à sa cheffe de gouvernement, le président de la République exprime son mécontentement de son nouveau code électoral et fait part de l'éventualité de l'amender. Objet de ce mécontentement, la problématique des parrainages qui avait pourtant beaucoup fait jaser au moment de la parution du nouveau code. Lors de son entretien avec Najla Bouden, hier, Kaïs Saïed a mis l'accent sur la nécessité d'appliquer la loi à pied d'égalité pour tous et de mettre un terme au phénomène de manipulation des parrainages lié à l'argent douteux « surtout qu'il s'est avéré que nombre des membres des conseils locaux ne se sont pas conformés au rôle qui leur a été dévolu », peut-on lire dans le communiqué présidentiel. Le président de la République a, d'ailleurs, réaffirmé que si la législation actuelle en vigueur ne réalise pas ses objectifs, le devoir national sacré nécessite son amendement afin de mettre un terme à ce phénomène condamnable.
Ce code électoral, publié dans le Journal officiel dans son édition le 15 septembre 2022, Kaïs Saïed l'avait élaboré lui-même en prenant très peu en considération les recommandations qui lui ont été faites. La version envoyée à l'Instance supérieure indépendante pour les élections était, d'ailleurs, différente de celle que le chef de l'Etat a décidé d'officialiser et de présenter aux Tunisiens. Parmi les points qui ont le plus fait jaser, notamment l'Isie, celui des parrainages. Le vice-président de l'instance des élections, Maher Jedidi, avait d'ailleurs précisé que le nombre de parrainages exigé a doublé en comparaison avec celui mentionné dans le brouillon présenté à l'Isie. Une question qui « représentera un vrai problème, en pratique, pour les circonscriptions à l'étranger, notamment ». La nouvelle loi oblige, en effet, les candidats aux législatives à présenter à l'Isie un résumé de leur programme électoral, accompagné par une liste nominative de 400 parrainages d'électeurs résidant dans la circonscription. Les parrainages doivent être munis d'une signature légalisée. Les parrainages doivent répondre à la règle de parité et le nombre des jeunes de moins de 35 ans ne doit pas être inférieur à 25%. Une règle jugée contraignante et pouvant ouvrir la porte à l'achat des voix. Des témoins avaient déjà fait part de tentatives d'achat de parrainages dans les administrations tunisiennes. Une dérive que le chef de l'Etat point du doigt dans son discours d'hier où il évoque « un marché où l'honneur se vend et s'achète ».
Mais ceci n'est pas la première fois que le chef de l'Etat décide de modifier un texte qu'il a lui-même élaboré. Il a fait exactement la même chose lors de l'amendement de la constitution de 2014. Il avait, à l'époque, constitué une commission chargée de l'élaboration d'un nouveau texte avant de décider de balayer d'un revers de main la proposition qui lui a été faite et d'en publier une autre, la sienne. Avant d'être soumise au référendum et votée par près de 94% des Tunisiens, cette Constitution a, de nouveau, été revue par le chef de l'Etat lui-même, pendant la campagne électorale, en parfaite violation de la loi.
Kaïs Saïed qui, depuis sa campagne pour la présidentielle de 2019, a toujours clamé qu'il ne déviera pas de la ligne qu'il s'était fixée, ne cesse de se contredire. Il s'était lancé en guerre contre les anciens islamistes au pouvoir dont Noureddine Bhiri, Rached Ghannouchi, Ali Laârayedh, Ridha Jaouadi, Mohamed Frikha, Mohamed Affes… Après des arrestations parfois spectaculaires ou une garde à vue de quelques heures pour les uns et de quelques jours pour les autres, ils ont tous été libérés. Toutes ces affaires ont fait pshiit et aucune charge n'a été retenue contre ces personnes.
« Et puis quoi encore ?! » a répliqué la constitutionnaliste Salsabil Klibi en réaction à la sortie présidentielle d'hier. Hichem Ajbouni, lui, a commenté en écrivant : « le sommet de l'absurde ! » et en qualifiant Kaïs Saïed de « couturier-rafistoleur ». Le dirigeant du collectif Citoyens contre le coup d'Etat, Jaouhar Ben M'Barek a, de son côté, écrit : « Chez le tailleur Kaïs Saïed, tous types de couture sur mesure : constitutions, circulaires, décisions, décrets… Essayez, puis habillez-vous aux frais de la maison ». Le député d'Attayar, Hichem Ajbouni, a, lui, aussi donné son avis sur la question. « Monsieur le Président, vous avez écrit une constitution sur mesure, vous avez amendé la loi électorale à votre guise, et vous êtes en train de tisser un costume pour le pays à votre goût. Allez-y ! Choisissez donc des députés sur mesure et évitez aux Tunisiens et Tunisiennes le mal des parrainages, de la légalisation de signature et de la démocratie ! ». Kaïs Saïed ne semble pas maitriser pas le plan qu'il s'était fixé. Obligé d'en dévier ou, parfois même, d'improviser, de retoucher et de rafistoler, il se prend bien souvent une veste et prouve aux Tunisiens qu'il fait un peu n'importe quoi…