Jadis joyau du paysage médiatique tunisien, la Télévision publique vient d'être épinglée par YouTube pour vol de droits d'auteur. Après plusieurs sommations, le géant de la vidéo en ligne vient de supprimer le compte de la chaîne et ses deux millions d'abonnés. Pendant des décennies, quand elle occupait le monopole audiovisuel tunisien, la Télévision publique faisait le bonheur et la fierté des Tunisiens. Avec ses séries Ommi Traki, Les contes de Laroui ou, plus récemment, Choufli Hall, la chaîne était une véritable fédératrice des Tunisiens et de leur identité. Avec l'arrivée de la concurrence, au milieu des années 2000, la chaîne a commencé à régresser. Les choses ont empiré avec le départ de plusieurs de ses journalistes vedettes vers les monarchies des pétro-dollars. Après la révolution, elle est devenue systématiquement et tout le temps devancée par les chaînes privées, notamment El Hiwar de Sami El Fehri et Nessma de Nabil Karoui. Pourtant, la liberté d'expression est devenue garantie, ce qui laisse entendre que ses 1100 salariés ont la possibilité de faire du beau travail avec les moyens gigantesques dont ils disposent. Aucune des chaînes privées ne possède 10% des moyens matériels et humains de la chaîne publique, financée à plus de 98% par le contribuable. Continuant sur sa lancée baissière, les choses ont empiré après le putsch du 25-Juillet et l'arrivée de la nouvelle PDG Awatef Dali. Elle est tout simplement devenue un outil de propagande du pouvoir putschiste et ne respecte plus la déontologie de la profession journalistique et encore moins le téléspectateur. Certains de ses journalistes sont montés au créneau pour défendre leur télévision, mais ils ont tous été mis au frigo. Pire, ils ont été épinglés par la PDG publiquement qui les accuse de ne pas vouloir travailler. Maher Abderrahman, journaliste, producteur, ancien de la BBC et ancien présentateur du 20-Heures dans les années 80-90, a publié tout un livre sur la télévision publique et ses tares. Il n'y a eu aucun suivi de son contenu et il n'a récolté que le mépris de la direction !
Jeudi 27 octobre, un scandale éclate avec la suppression du compte YouTube de la chaîne Watanya 1. Du jour au lendemain, deux millions d'abonnés sont partis en l'air. Comme chacun le sait, YouTube n'applique ces mesures radicales qu'après plusieurs sommations. La chaîne a été accusée de voler du contenu d'autrui et de le balancer sur YouTube. La pratique est courante dans le paysage médiatique tunisien. Business News en sait quelque chose avec le vol régulier et quotidien de ses articles par un grand nombre de pages Facebook, mais aussi par des journaux ayant pignon sur rue et plus de vingt ans d'existence. Trop c'est trop, un jeune créateur tunisien a refusé de se laisser voler son travail sans réagir. Il s'agit de Rabii Ben Brahim, alias The Dreamer, qui produit des vidéos thématiques et les vend ensuite. Ses vidéos filment les paysages et promeuvent le tourisme et la culture tunisiens. Dans un premier temps, il a constaté la reprise sans autorisation de quelques extraits de ses vidéos, sans citer la source, sur la Télévision publique et par le ministère de la Culture. Rabii Ben Brahim a pris contact avec les responsables du ministère de la Culture qui ont admis le vol de ses créations et présenté des excuses. À la Télévision publique, on aurait également admis le vol de ses créations, mais on a quand même récidivé ! Malgré ses réclamations, il a constaté que la Télévision publique ne se suffisait plus d'extraits, mais reprenait carrément des vidéos entières en retirant le logo « The Dreamer » pour le remplacer par le sien « Wataniya 1 ». Dans la foulée, on supprime la bande son originale pour que le vol ne soit pas détecté par l'intelligence artificielle de YouTube. Il y aurait une bonne douzaine de films volés. Le créateur a dû faire valoir ses droits auprès de YouTube à défaut de pouvoir faire autre chose pour obliger la Télévision publique à ne plus voler ses vidéos. Le géant américain, très pointilleux sur le sujet du copyright, a averti la Télévision publique et a supprimé les vidéos objets de litige. Ça n'a pas fait réagir pour autant la Télé qui a continué son manège. Une fois, deux fois, trois fois, à la quatrième la sentence est tombée le 27 octobre avec la suppression pure et simple de la chaîne multirécidiviste. Contacté par Business News, le directeur de la communication de la Télé publique a promis de revenir vers nous pour une réponse officielle dans les vingt minutes. Promesse non tenue. Nous ne manquerons pas de la publier ultérieurement si jamais il nous l'envoie.
La suppression du compte devrait provoquer un scandale national. Sauf que ce n'est pas le cas. Dans le paysage médiatique tunisien, rares sont ceux qui ont évoqué le sujet, corporatisme primaire oblige. Sur les réseaux sociaux, on frise le surréalisme puisque c'est Rabii Ben Brahim qu'on injurie et qu'on dénigre en l'accusant d'avoir causé la suppression du compte YouTube de la chaîne nationale ! L'emballement caractéristique des réseaux sociaux pour défendre le voleur et attaquer la victime est impossible à expliquer. Il s'agit là d'une affaire dans l'affaire. Non seulement Rabii Ben Brahim est victime du vol manifeste de prétendus journalistes de la Télévision publique, mais le voilà lynché sur les réseaux sociaux !
Heureusement encore qu'il reste quelques personnes sensées dans le pays pour défendre les droits bafoués du créateur. « La télévision nationale a commis des vols à répétition et avec préméditation. Elle vole le contenu, recadre, fait un montage, supprime les mentions The Dreamer, logo et tout élément se rapportant à l'auteur original. Elle l'a fait en connaissance de cause. Ce n'était plus une pratique exceptionnelle mais une culture foncièrement ancrée. La culture de s'approprier le travail d'autrui en croyant en avoir le droit sans redevabilité aucune. L'arrogance de ne pas donner suite aux appels de régularisation redondants des différents auteurs ont conduit à cet épilogue prévisible. The Dreamer est un jeune tunisien qui se démène, travaille, produit dans un environnement extrêmement hostile. Et il se fait piller à répétition. The Dreamer doit être remercié et non fustigé. Pour la télévision nationale, au-delà de la sanction collective, l'institution devrait porter plainte contre les individus qui causent sa perte au quotidien, dilapidant les deniers publics. Un scandale, un vrai, révélateur de la médiocrité et surtout d'une pratique répandue. Toute ma solidarité avec The Dreamer et tous ceux qui n'ont pas été rétribués pour leurs efforts. », s'est étranglé Mehdi Kettou, journaliste et animateur sur des chaînes radio et télé privées. Même son de cloche du côté du producteur Néjib Belkadhi : « La fermeture du channel YouTube de la chaîne nationale pour violations répétées de droits d'auteur (utilisation de vidéos du vidéaste The Dreamer sans son consentement) est une gifle (bien méritée) dans la gueule d'un système qui bafoue la propriété intellectuelle sans aucune vergogne depuis des décennies. Dans un autre pays qui respecte ses créateurs, ceci est considéré comme un scandale d'état ! #3000_ans_de_civilisation ».
Dans un pays normalement constitué, les journalistes de la Télé publique qui ont commis ce vol auraient été licenciés et traduits devant la justice. Idem pour les responsables qui n'ont pas donné suite aux réclamations de M. Ben Brahim et aux sommations de YouTube. La PDG aurait démissionné suite au scandale. Parions que personne ne sera inquiété, tant qu'ils sont sous la protection de Awatef Dali, propagandiste chérie du palais de Carthage.