La cheffe du gouvernement Najla Bouden s'attelle désormais à un nouvel exercice, celui de dire l'exact contraire de ce qu'elle fait. D'un côté, elle met le feu et de l'autre elle appelle à pacifier le climat public. La cheffe du gouvernement Najla Bouden a reçu mardi 3 janvier 2023 le président de l'Utica Samir Majoul et le secrétaire général de l'UGTT Noureddine Taboubi. Devant les représentants des centrales patronale et syndicale, elle a parlé de « pacifier le climat public et de travailler en commun pour trouver des solutions appropriées et se donner les moyens de réussir l'étape à venir, en donnant la priorité à l'intérêt général et national ». Pour elle, 2023 devrait être l'année de la concertation et du dialogue. Elle a également rencontré les représentants de l'Utap (agriculteurs) et de l'UNFT (femmes). Le même jour, son ministre de l'Economie Samir Saïed a organisé une conférence de presse durant laquelle il a exposé le plan de développement 2023-2025. À la lecture de l'actualité gouvernementale du jour, on se croirait dans un pays démocratique développé où le pouvoir en place est en train de communiquer en toute transparence avec les corps intermédiaires. Les apparences sont cependant trompeuses. Les belles images données par Mme Bouden et M. Saïed contrastent avec la réalité du terrain. C'est comme si elles étaient faites pour plaire à on ne sait quelle organisation étrangère (le FMI par exemple) pour donner l'impression que le pouvoir concerte avec les différentes organisations sociales.
En matière de communication, le gouvernement est encore en première année. Pour la conférence de presse organisée par M. Saïed, il est bon de souligner qu'on a soigneusement évité d'y convier les médias capables d'apporter une contradiction au discours propagandiste du ministre. La majeure partie des journalistes présents sont ceux du public, c'est-à-dire ceux qui se sont couchés devant le régime de Kaïs Saïed, nous dit-on. Sur le fond, Samir Saïed est loin d'être sincère et crédible. Il présente un plan de développement 2023-2025, mais on ne trouve aucune trace de ce plan dans la loi de Finances de l'année en cours ! Pour ce qui est des organisations invitées par Najla Bouden, deux sur quatre (Utica et UNFT) ont choisi sciemment de jouer le rôle de la carpette. Le président de l'Utap a été imposé là où il est à la faveur d'un mini-putsch au sein de l'organisation. Quant au quatrième, l'UGTT, il est bon de dire que ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces. On l'a juste invité pour la photo. Quid de l'Ordre des avocats, quid de la Ligue tunisienne de défense des Droits de l'Homme, quid du Syndicat des journalistes, quid des représentants des magistrats ? Quid des différentes organisations politiques (PDL, Front de Salut, Attayar…). Mme Bouden, visiblement, les évite. Pacifier le climat avec des organisations qui sont déjà acquises n'a donc aucun sens, à part l'enfumage public.
Tout comme son ministre, Najla Bouden n'est pas sincère, loin de là. On ne sait pas si elle ne fait qu'exécuter des ordres venus de Carthage ou si c'est elle qui a eu l'initiative de cette belle histoire de pacification du climat public, mais force est de constater que c'est son régime qui est en train de l'empoisonner. Alors qu'elle était en train de recevoir les représentants des différentes organisations, le militant politique Ahmed Nejib Chebbi était en train d'organiser une conférence de presse pour dénoncer une procédure judiciaire inique lancée contre lui et affirmer haut et fort qu'il ne répondra à aucune convocation judiciaire. La veille, le militant Ayachi Hammami était en train de dénoncer une autre procédure judiciaire inique, après avoir été poursuivi sur la base du décret 54 liberticide. On lui reproche d'avoir déclaré que la ministre de la Justice a commis un carnage dans le corps des magistrats. Le même jour, le principal parti d'opposition, Ennahdha, a publié un long communiqué pour fustiger le pouvoir putschiste. La veille, c'était le Parti des Travailleurs qui dénonçait le despotisme du pouvoir. Le climat public est loin d'être pacifié et c'est une excellente chose que la cheffe du gouvernement cherche à l'apaiser, sauf qu'il y a deux conditions pour cela : elle doit parler avec ses adversaires et non avec ses amis et elle doit commencer par donner l'exemple. Ce que fait Mme Bouden est juste de l'enfumage, puisque c'est elle (et/ou son gouvernement et son président) qui sont en train d'empoisonner ce climat avec des décrets liberticides et des procédures abusives. Un minimum de cohérence entre les paroles et les actes aurait été le bienvenu.
Sur un autre plan, il y a un problème de timing. Najla Bouden parle de pacification du climat public au mois de janvier et ce après avoir publié, en solo, la loi de Finances et avoir mis ainsi tout le monde devant le fait accompli. La loi de Finances a été contestée quasiment par l'ensemble des organisations professionnelles et syndicales, mais le gouvernement Bouden est passé outre ces réserves et l'a quand même publiée. Pire, la ministre des Finances a dit qu'il y a eu des concertations avec certaines organisations (UGTT, avocats) et ceci a été démenti. Quand on veut pacifier le climat, quand on veut débattre, quand on veut concerter, on le fait avant, pas après ! On ne met pas tout le monde devant le fait accompli et venir après pour dire, viens qu'on discute. Visiblement, Najla Bouden cherche à présenter au monde extérieur une image de cohésion dans le pays. Celle-ci est indispensable pour convaincre les partenaires extérieurs d'aider son gouvernement. Elle a besoin de plusieurs milliards de dinars pour boucler son budget, dont 1,9 milliard de dollars du FMI, et elle sait qu'elle ne peut pas mendier cet argent en ayant la société civile contre elle. Peut-être qu'elle pense qu'une simple image, des communiqués publiés sur une page Facebook et une vraie-fausse conférence de presse sont suffisants pour leurrer ces partenaires extérieurs ? L'image de pacification du climat public donnée par Mme Bouden contraste avec la triste réalité actuelle de la Tunisie. Si elle veut convaincre les partenaires étrangers, si elle veut sincèrement pacifier le climat public, la cheffe du gouvernement doit commencer par cesser d'empoisonner ce débat et de décider, toute seule, du sort de tout un pays.