Les déclarations du chef de l'Etat, Kaïs Saïed au sujet des migrants subsahariens et d'un éventuel complot menaçant l'identité arabo-musulmane ont été fortement critiquées. Plusieurs experts, militants et acteurs de la scène politique ont mis en garde contre les répercussions de ce discours haineux et de la montée du courant fasciste et d'extrême droite en Tunisie. Les multiples agressions visant les subsahariens et les décisions de certains pays de rapatrier leurs concitoyens viennent confirmer ces inquiétudes. Contre toute attente, le chef de l'Etat, Kaïs Saïed avait tenu, à la date du 21 février 2023, une réunion du conseil de sécurité nationale consacrée aux « mesures urgentes qui devraient être prises pour traiter le phénomène de l'afflux d'un grand nombre de migrants irréguliers subsahariens en Tunisie ». La question de la situation des migrants en Tunisie fait rage depuis plusieurs semaines. Un parti nationaliste avait entamé une campagne raciste et xénophobe incitant à expulser les migrants subsahariens afin de mettre fin à ce qui serait un projet de colonisation de la Tunisie. Une très mauvaise réplique de la triste théorie du grand remplacement. Les déclarations xénophobes du président de la République et des leaders de ce parti ont fait sortir le racisme ancré en nous. Plusieurs agressions verbales et physiques ont été signalées durant les dernières semaines. Les victimes étaient toutes des afro-descendantes. Bien évidemment, le racisme n'épargne personne ! Des Tunisiens ont été confondus avec des migrants subsahariens. Certains ont été insultés, tabassés ou même conduits au poste de police. Les Tunisiens se sont malheureusement illustrés à travers leurs actes primitifs et synonymes d'un obscurantisme sans précédent. Nos autorités nationales sont même allées jusqu'à interdire l'accès à certains services, au travail et au logement aux migrants en situation irrégulière. L'application de ces mesures, en réalité, a porté sur l'intégralité des migrants. L'extrémisme et le racisme n'épargnent personne. La question de la situation irrégulière des migrants n'est qu'un simple prétexte pour les nationalistes. Face à cette situation catastrophique, la communauté subsaharienne n'a pu que lancer des cris de détresse et de colère. Une grande partie des étudiants a choisi de boycotter les cours non pas pour exprimer son mécontentement, mais de peur de se faire agresser dans la rue. Les activités les plus simples et accessibles pour un être humain sont devenues un véritable calvaire pour les migrants. Les citoyens guidés et encouragés par des néonazis procèdent à des raids visant leurs domiciles tandis que les chauffeurs de taxi sont devenus des contrôleurs de papiers. C'est ce qu'avait rapporté une Tunisienne sur son profil Facebook. Un chauffeur de taxi lui avait demandé de présenter son passeport lorsqu'elle a embarqué dans son véhicule. En lui précisant qu'elle était Tunisienne, il lui a répondu : « Ah, tu es des nôtres ! ». Une réponse ridicule et pourtant révélatrice de la part d'un individu qui joue au policier sans qu'on ne lui ait rien demandé. L'absence de réaction de la part des autorités tunisiennes et l'entêtement du chef de l'Etat dans sa théorie du complot contre la Tunisie ont poussé la Commission de l'Union africaine à réagir. Son président, Moussa Faki Mahamat, avait condamné, dans un communiqué du 24 février 2023, les déclarations choquantes des autorités tunisiennes et avait exprimé les préoccupations de l'organisation à ce sujet. Il a rappelé que tout pays devrait traiter les migrants avec dignité et s'abstenir des discours haineux et raciste. Les chambres de commerce tuniso-ivoirienne et tuniso-sénégalaise ont, aussi, exprimé leur inquiétude quant à la situation des communautés subsahariennes en Tunisie. Elles ont déploré les agissements contraires à la loi et touchant les relations fraternelles les liant à la Tunisie. De son côté, le fraîchement nommé ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a essayé de sauver la face et de rattraper le coup en s'entretenant avec les ambassadeurs des pays africains. Il a même publié une photo avec l'intégralité des ambassadeurs main dans la main et arborant un grand sourire. Néanmoins, les tentatives de rafistolage de ce dernier n'auront aucun impact, notamment à cause du mutisme des autorités tunisiennes et de l'absence de mesures concrètes visant à protéger les migrants et les réfugiés. Les agressions et actes racistes continuent en plus de la complicité des autorités nationales ont poussé certains pays à envisager le rapatriement de leurs concitoyens. La République de Guinée a, ainsi, mis en place un pont aérien avec la Tunisie afin de permettre l'évacuation rapide des Guinéens. Pour rappel, ce genre de mesures est généralement pris dans les zones de conflits et parfois dans les zones touchées par des catastrophes naturelles. La Guinée a organisé un premier vol de rapatriement. Les photos de l'arrivée des passagers à Conakry, capitale de la République de Guinée, sont tout simplement attristantes. On y voit une foule enlaçant le président du pays et affirmant se sentir enfin en sécurité. Le communiqué publié à ce sujet par les autorités guinéennes évoque des traumatismes, de la tristesse, une fuite de la Tunisie, une urgence et une situation anormale et inacceptable. La Côte d'Ivoire a, elle aussi, annoncé qu'un vol de rapatriement sera mis en place afin de permettre aux Ivoiriens de rentrer chez eux. Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, a indiqué dans un discours du 1er mars 2023, que ces compatriotes vivaient une situation difficile. La compagnie nationale ivoirienne a été mise en mission pour procéder à ce rapatriement. Le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar a, encore une fois, tenté de rattraper le coup en s'entretenant avec son homologue ivoirienne Kandia Kamissoko Camara afin de la rassurer et de lui indiquer que la Tunisie prenait toutes les mesures nécessaires pour protéger les étrangers qui y résident. Un entretien téléphonique qui ne servira sûrement à rien vu l'absence concrète de ces mesures. Personne n'a été arrêté et aucune poursuite n'a été engagée en vertu de la loi organique n° 2018-50 du 23 octobre 2018, relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Pire, les affirmations du ministre des Affaires étrangères se heurtent directement aux affirmations de celui de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine. Ce dernier a affirmé, à l'occasion de la tenue du Conseil des ministres de l'Intérieur arabes à la date du 1er mars 2023, que la Tunisie faisait face à des attaques et à des critiques injustifiées au sujet de la position adoptée concernant les migrants irréguliers. Il a assuré qu'il s'agissait d'une question relevant de la souveraineté du pays. Il a même évoqué des menaces sécuritaires en raison de la hausse du nombre de migrants irréguliers cherchant à atteindre l'espace européen. En plus de cela, plusieurs Tunisiens participants à des foires et à des forums internationaux et régionaux nous affirment que les résidents de pays subsahariens critiquent fortement l'attitude des fascistes en liberté sur le territoire tunisien et l'absence de réaction de la part des autorités nationales. Certains envisagent de lancer une chasse aux Tunisiens. D'autres évoquent un boycott de produits. On rapporte que les commerçants de Conakry, en République de Guinée, ont suspendu l'achat et l'importation de produits tunisiens. Comme plusieurs autres pays du continent, la République de Guinée et la Côte d'Ivoire représentent des partenaires politiques et économiques importants pour la Tunisie. La dégradation des relations diplomatiques et économiques avec le reste du continent impactera considérablement la situation du pays. L'absence de réaction face aux agressions et l'accroissement des décisions de rapatriement pourraient nous pousser à faire une croix sur cette belle image que projetait la Tunisie à l'échelle régionale et internationale. Nous serions, ainsi, aux yeux de toutes et tous, un peuple raciste guidé par des fascistes et menaçant l'unité africaine. La Tunisie qui souffre déjà de la gravité de la situation politique et de l'instabilité économique ne peut pas se permettre de perdre ce qui lui reste de soutien et de partenariat. Le pouvoir en place devrait mettre fin à ce triste épisode de l'histoire et revenir aux fondamentaux : L'importance de collaborer avec les pays africains et le renforcement et le maintien de l'image de la Tunisie comme étant une nation pacifique pouvant accueillir n'importe quelle personne quelles que soient ses origines, sa race, sa langue ou ses convictions. Nous devons rapidement barrer la route à ces nénnoazis qui nous mènent vers l'inconnu et l'obscurité !