L'arrestation d'Abir Moussi a été plus déroutante que celle de nombreux autres prisonniers politiques. Pourquoi ? Parce qu'elle marque un tournant dans la série d'arrestations opérées par le régime. La présidente du PDL, l'une des rares figures de l'opposition encore sur terrain, rejoint la liste de prisonniers qu'elle n'a pourtant jamais soutenus. Qu'implique cette arrestation pour le régime ? « L'arrestation d'Abir Moussi, et avant elle, celle de Rached Ghannouchi, prouve aujourd'hui que les partis de la décennie noire, ne sont que des partis en carton », c'est ce qu'a déclaré le chroniqueur Néjib Dziri, farouche défenseur du président de la République, ce matin du 6 octobre 2023 sur Radio IFM. C'est ce que ne cessent de répéter, en jubilant, de nombreux partisans du régime qui voient en l'arrestation d'Abir Moussi une nouvelle victoire pour Kaïs Saïed. Un mandat de dépôt a été émis hier en fin de journée, aux environs de 19 heures, contre la présidente du parti destourien libre (PDL) Abir Moussi, pour suspicions d'attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement. L'audition avait duré une journée entière et ses proches et militants avaient campé sur place en attendant la nouvelle. Hier, alors que l'instruction venait à peine de débuter, les personnalités et pages proches du Président avaient déjà annoncé l'émission d'un mandat de dépôt. Soit près de quatre heures avant la décision du juge. L'heure était aux jubilations et à la joie mauvaise de tous ceux qui attendaient que l'agitateuse Abir Moussi rejoigne les autres opposants politiques anti-25-Juillet.
Le nom d'Abir Moussi s'ajoute aujourd'hui à la liste des personnalités politiques placées derrière les barreaux par le pouvoir de Saïed depuis le 25 juillet. Et pourtant, toutes ces personnalités n'ont pas grand-chose en commun, hormis leur opposition au coup d'Etat de 2021. Ceci est d'autant plus vrai pour Abir Moussi qui n'a jamais manifesté la moindre sympathie pour ses anciens collègues du Parlement ni souhaité faire partie, de près ou de loin, de la « famille de l'opposition ». Pourtant, démocrates, islamistes et autres se sont réunis dans la coalition de fortune qu'est le front de salut, pensant transformer leur malheur en force. Peu probable que Moussi, même emprisonnée, consente à rejoindre les rangs.
En effet, depuis la série d'arrestations, Abir Moussi avait continué à faire cavalier seul avec pour principe de tirer sur tout ce qui bouge. Ceci avait réussi à la fois à l'isoler mais aussi à la présenter comme l'unique figure de l'opposition encore libre et active sur la scène nationale. Plusieurs personnalités hostiles à Abir Moussi lui avaient exprimé, dès son arrestation, leur soutien de principe et des avocats se sont même proposés pour la représenter. Il s'agit plus d'une manœuvre politique que d'une réelle volonté de porter secours à celle qui les a toujours vilipendés. Le sentiment d'injustice que partagent les prisonniers marquera-t-il le début d'une union de circonstance de l'opposition contre Saïed ? Une occasion en or que le Président offre à ses opposants pour se liguer contre lui. Mais, si tous les ingrédients sont réunis pour, il est peu probable qu'Abir Moussi daigne se ranger du côté des autres figures de l'opposition pour partager la vedette avec elles. Oui, car un enjeu de taille se prépare aujourd'hui. La présidentielle de 2024.
La semaine dernière, le PDL, qui avait boycotté les législatives de 2022, a annoncé la candidature d'Abir Moussi à la présidentielle de 2024. Une présidentielle dont, ni les dates ni les règles du jeu ne sont fixées d'avance. L'heure est aux spéculations dans un contexte des plus incertains. Saïed acceptera-t-il de céder le pouvoir ? Si les sondages le déclarent d'ores et déjà vainqueur, il n'est pas exclu que l'actuel président souhaite baliser la route devant lui et exclure d'emblée ceux qui représentent le moindre petit risque. Parmi eux, Abir Moussi.
Pour l'instant, la scène politique est vidée de ses principales figures. Des « dossiers vides » selon les avocats ont raison de plusieurs dirigeants politiques qui, au lieu d'agir sur la scène publique, croupissent en prison. Au moment de la campagne, seront-ils encore suffisamment bankables pour se présenter ? Auront-ils encore suffisamment de souffle pour mener campagne ? « Il faudrait être vraiment naïf pour croire que Kaïs Saïed est prêt à laisser tomber son poste de président de la République en 2024. Que ça soit via les urnes, via une loi sur mesure ou via l'emprisonnement de ses adversaires, Kaïs Saïed ne va pas céder sa place en 2024, car cela équivaudrait à un suicide politique pour lui ». C'est ce qu'a déclaré, le 4 octobre 2023, le secrétaire général d'Attayar, Nabil Hajji. « De quelle présidentielle parlons-nous aujourd'hui ? Actuellement, les principaux opposants à Kaïs Saïed sont soit en prison, soit vivent sous la menace d'être emprisonnés », ajoute Nabil Hajji.
Nous savons peu de choses sur la présidentielle de 2024, hormis le fait qu'elle « devrait » se tenir aux alentours de l'automne prochain selon l'instance des élections (Isie). Théoriquement, les candidats se présentant à la présidentielle devront le faire conformément aux conditions de candidature énoncées par la loi électorale de 2014. Sauf qu'il n'est pas exclu que les règles du jeu changent en cours de route. Si elles excluaient tous ceux poursuivis pour des crimes graves, elles pourraient éjecter la quasi-majorité de l'opposition. Des règles fixées par l'un des candidats, en l'occurrence, le chef de l'Etat Kaïs Saïed, ce qui est de nature à biaiser tout le processus électoral. Pour l'instant, même s'il a réussi à se mettre à dos toute l'opposition, le schéma actuel profite sans grande surprise à Kaïs Saïed qui pourra aisément tirer avantage du vide installé autour de lui pour continuer sur sa lancée. Rien n'indique qu'il compte s'arrêter en si bon chemin. Rappelez-vous, il avait décidé en 2022, à la veille des législatives, d'exclure du jeu tous ceux qui « s'étaient incrustés et avaient infiltré ce processus alors qu'ils n'ont aucun lien avec l'entreprise du 25-Juillet ».