L'arrestation de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) a provoqué très peu de commentaires de soutien dans la rue tunisienne. Plusieurs s'en sont réjouis, la majorité a haussé les épaules. Clivante à merveille, l'offensive avocate a tout fait pour se créer des ennemis gratuitement. Les arrestations de personnalités politiques ne s'arrêtent décidément pas en Tunisie. On en compte une bonne vingtaine depuis le mois de février et il y a toujours une constante, les motifs sont fallacieux. Dernière en date, celle de Abir Moussi, mardi 3 octobre vers 17h30, devant le palais de Carthage, siège de la présidence de la République. La présidente du PDL, accompagnée d'une flopée de militants et d'un huissier de justice, voulait remettre au bureau d'ordre un document signifiant son opposition contre les décrets émis par la présidence de la République concernant la convocation des électeurs aux élections locales et le découpage des districts. Pour pouvoir déposer un recours devant le Tribunal administratif, le dépôt de ce document à la présidence est obligatoire. Elle aurait pu l'envoyer par voie d'huissier, mais comme d'habitude, Me Moussi a choisi la confrontation et le show devant ses propres caméras qui diffusaient en direct sur les réseaux sociaux l'opération de dépôt au bureau d'ordre et le refus de ce dernier l'acceptation du document. L'opération et le direct ont duré plusieurs minutes provoquant l'ire des services de sécurité de la présidence qui l'ont arrêtée de suite. Arrestation semble-t-il musclée. D'après sa directrice de la communication, l'intervention aurait mobilisé entre 50 et 70 agents. Information impossible à prouver. Quatre heures plus tard, Laroussi Zguir, président de l'Ordre régional des avocats de Tunis, annonce que la présidente du PDL (et avocate) est en garde à vue pour 48 heures sur ordre du parquet. Elle doit répondre de trois chefs d'accusation, à savoir, attentat ayant pour but de provoquer le désordre, traitement des données à caractère personnel sans l'autorisation de la personne concernée, et entrave à la liberté du travail. Comme toutes les précédentes arrestations de personnalités politiques, les motifs semblent fallacieux. Autant d'accusations pour un simple dépôt d'un document au bureau d'ordre, c'est fort de café. Le régime de Kaïs Saïed n'en est pas à son premier coup, ni au dernier. C'est comme ça qu'il procède désormais avec ceux qui le dérangent. Théoriquement, et au vu de ce qui semble être une injustice flagrante, Abir Moussi aurait dû déclencher une grosse vague de soutien, ou au moins d'empathie, sur les réseaux sociaux. Sauf que les commentaires de soutien, au cours de la soirée du mardi 3 octobre et la matinée du mercredi 4 octobre 2023 étaient rares. Bien rares. Dans la rue, dans les cafés, sur les réseaux sociaux, on manifestait sa joie de voir la dame arrêtée. « Elle a dépassé toutes les lignes rouges », « elle fait son cirque habituel, il faut bien que quelqu'un l'arrête », « Elle s'en est prise au président de la République et lui n'aime pas qu'on rigole avec lui », lit-on un peu partout aussi bien sur les profils partisans du régime putschiste que ceux de l'opposition, islamistes en tête. Les seules exceptions à ces commentaires hargneux sont ceux des partisans et sympathisants du PDL et de Abir Moussi et ceux qui s'opposent, par principe, à l'injustice quelle que soit la partie qui le subit. Business News n'a pas dérogé pas à cette règle, que le journal suit et suivra toujours, et a manifesté son soutien sans ambages à Abir Moussi par le biais de la chronique hebdomadaire de son rédacteur en chef Marouen Achouri. Et ce n'est pas un simple renvoi d'ascenseur puisque Mme Moussi a soutenu Business News quand le journal a été poursuivi par l'ancienne cheffe du gouvernement Najla Bouden, il s'agit d'une position de principe. Toute personne qui subit une injustice et qui voit ses droits bafoués mérite un soutien de quelque forme que ce soit. A lire également Solidaire avec Abir Moussi La question est pourquoi l'arrestation de Abir Moussi a suscité autant de moqueries, de joie mauvaise (chmeta en arabe) et de hargne ? Un politicien digne de ce nom fait essaie de rassembler autour de lui un maximum de sympathisants. Il fait tout pour présenter son programme et ses solutions afin de convaincre le plus d'électeurs possible que sa vision est meilleure que les autres. L'exercice est quotidien et touche tous les sujets. Abir Moussi est à l'exact inverse de ces normes universelles suivies par les politiciens du monde entier. Elle suit une ligne clivante basée sur la critique et la destruction de tout ce qui n'a pas grâce à ses yeux. Elle a parfois (ou souvent) raison, mais elle a également parfois (ou souvent) tort. Une constante, Me Moussi se crée quotidiennement et gratuitement des ennemis nouveaux. C'est du non-sens, le comble même, pour un politicien de l'opposition qui cherche à occuper les plus hautes sphères du pouvoir. Conservatrice extrême, la dame s'est débrouillée pour se mettre à dos les islamistes, la gauche, les libéraux, les défenseurs de droits de l'Homme, les homosexuels (qu'elle veut emprisonner, les considérant comme criminels) les syndicalistes, les membres de la Haica, les journalistes et même les statisticiens dont les chiffres lui déplaisent. Elle a, à plusieurs reprises, organisé des manifestations et des sit-in devant les sièges ou les lieux de conférence de ceux qu'elle cherche à épingler. À chaque fois, elle rassemble quelques dizaines ou centaines de ses militants pour faire le show, épingler nommément des personnages publics (politiciens, journalistes, militants…) le tout filmé en direct sur sa page Facebook. En bonne avocate, prolixe et au verbe facile, Abir Moussi fait des points quotidiens, copiant maladroitement et approximativement la méthode du président mexicain Amlo, pour donner son avis sur X et dénoncer Y. Plutôt que d'être constructive, comme devrait l'être chaque politicien sensé, Me Moussi est destructrice à souhait. Elle ne cherche jamais à comprendre l'autre, elle exècre le débat et le dialogue, elle préfère et de loin la confrontation et la bagarre. De l'eau dans son vin ? Jamais ! C'est toujours l'escalade avec elle. La stratégie a ses limites et ses conséquences. La dame est lâchée de partout. À commencer par les médias. Puisqu'elle n'accepte pas la critique, puisqu'elle ne cherche que des médias qui relaient ses discours sans broncher et sans la contredire, elle est boycottée. Boycott d'autant plus justifié que la dame ne pèse pas vraiment politiquement, contrairement à ce qu'elle prétend et ce qu'elle laisse croire à ses partisans. À la dernière présidentielle, pour laquelle elle s'est présentée en 2019, Abir Moussi n'a réussi à récolter que 135.461 voix se classant à la neuvième position. Ses points quotidiens sur sa page Facebook ne sont vus que par quelques petits milliers de personnes (pas toutes partisanes) malgré les 649 mille abonnés de la page. Sa chaîne de télé sur YouTube lancée en mars 2023 en grande pompe, n'a pas réussi à percer et ne possède que 6.500 abonnés. Abir Moussi a beau prétendre être populaire, peser plus que ce que les sondages lui attribuent (8%), les faits sont là et les chiffres sont têtus. Alors que son arrestation aurait dû provoquer une vague d'empathie, de soutien et de divers rassemblements voire manifestations, c'est l'inverse qui s'est produit. Elle subit exactement le même sort que son ennemi juré Rached Ghannouchi. Non seulement, ses militants ne sont pas montés au créneau au quart de tour, mais elle s'est trouvée moquée sur les réseaux sociaux, y compris par des personnes supposées être sensées et défenseures des droits et des libertés. Telle est la conséquence de tout homme politique qui ne cherche pas à rassembler, à fédérer et à construire. Quand on veut toujours casser ceux qui ne vous ressemblent pas, on finit par se casser soi-même.