Le titre de ce modeste papier reprend une expression devenue culte en Tunisie, du moins chez une certaine frange de Tunisiens. On les voit pulluler sur les réseaux sociaux en commentaires sous les activités officielles du pouvoir, sous les infos relatant des arrestations d'opposants ou de personnes lambda ayant eu l'outrecuidance de critiquer le régime. Ils dégainent à tous les coups et se déversent tel un troupeau mu par un irrésistible instinct grégaire. Tels des trolls dénués de tout véritable discernement, ces personnes copient-collent des messages identiques encensant le chef suprême contre vents et marées. En plus de manifester des caractéristiques moutonnières, il est étonnant de constater la boule de haine et de ressentiments que ces gens-là trainent dans leur sillage. « Tapez plus fort monsieur le président, ils respirent encore ! », cette célèbre phrase résumerait à elle seule l'état d'esprit qui prévaut chez les fans invétérés du processus qui devrait, selon leurs convictions, changer la face de la Tunisie et de l'humanité tout entière. Avoir des convictions n'est pas une aberration, loin de là, ce qui l'est toutefois c'est cette haine ardente qu'ils charrient contre les personnes qui ont des convictions différentes des leurs. Plus le champ des libertés se rétrécit, plus ces gens-là s'en délectent et appellent à la violence de l'Etat pour mater toute voix contraire.
Le phénomène a pris tellement d'ampleur que l'anthropologie (pour ne pas dire une autre discipline et être désobligeante) devrait s'en saisir pour le décortiquer et en expliquer les mécanismes. Ce serait intéressant de se pencher sur cette convergence de ressentiment, de mauvaise-joie et de culte aveugle de la personnalité qui s'expriment chaotiquement faisant fi de toute logique et nuance.
Vous tomberez donc sur la fameuse phrase au détour d'une info sur un mandat émis contre un politicien, un journaliste ou un homme d'affaires. Ces catégories sont frappées du sceau de l'infamie chez les ultras du processus. Elles sont coupables, et même pas jusqu'à preuve du contraire, elles le sont tout court. Mais le même mécanisme se déclenche quand il s'agit d'un simple citoyen qui exprime une critique. Le cas de l'artiste Rached Tamboura le démontre bien. Le jeune homme a écopé en appel de deux ans de prison pour offense au chef de l'Etat. Son crime, avoir tagué des murs à l'effigie du président en dénonçant les violences racistes ayant visé les migrants subsahariens. Le jeune homme se pensait libre d'exprimer une opinion dans un pays où la nouvelle constitution rédigée par les mains présidentielles garantit ce droit fondamental. Il voulait s'élever contre le racisme et la pensée fascisante. Il se retrouve malheureusement en prison, sa vie brisée. Réactions immédiates : 'bien fait pour lui, qu'il croupisse en prison, à bas la liberté si c'est pour consacrer l'impolitesse et offenser le symbole de l'Etat…'. Le petit a pris cher pour de simples graffitis. Il ne sera pas le premier ni le dernier au vu de la situation. Le plus inquiétant c'est que cette haine, au lieu d'être condamnée, est au contraire attisée et alimentée par la démagogie-populiste qui prévaut.
Alors beaucoup de gens se taisent par peur d'être pris pour cible et détruits pour une simple opinion. Le silence lâche ou contraint, la paranoïa, exprimer sa pensée de manière détournée, chuchoter pour éviter les délateurs, tout cela on l'a bien connu dans le passé. N'a-t-on rien appris de notre Histoire ?