Malek Ezzahi semble bien content avec son chiffre de création de sociétés communautaires au nombre de cent. Jouant la propagande à outrance, il présente cela comme un franc succès, alors que c'est un cinglant échec. Le 21 mars 2022 est pondu le décret n°15-2022 relatif aux sociétés communautaires. Un projet très cher au président de la République qui en parle depuis des mois déjà et dont il ne cesse encore de parler à ce jour. Près de deux ans après la publication de ce décret, on dénombre cent entreprises créées sous ce régime. Le chiffre a été présenté par Malek Ezzahi, ministre des Affaires sociales, dans une interview accordée au journal "Al Maghreb" dans son numéro paru lundi 12 février 2024. « Ces sociétés ont reçu les financements et commencé leurs activités », a-t-il précisé. Le ministre présente la chose comme étant un succès et en semble fier. Il caresse, ainsi, dans le sens du poil son président de la République qui croit dur comme fer que ce type de sociétés est celui qui va sauver l'économie tunisienne. Il a même nommé un secrétaire d'Etat ad-hoc, le 24 janvier dernier. Lundi 12 février, le président recevait justement ce nouveau secrétaire d'Etat. Lors de l'entrevue, Kaïs Saïed a appelé à soutenir les personnes ayant lancé des sociétés communautaires, en les accompagnant dans leurs projets ou dans les projets qu'ils envisagent de lancer. La chose lui tient à cœur et il compte bien mettre tous les moyens en œuvre pour que ça puisse décoller. Le président de la République a ainsi insisté sur la nécessité de lever tous les obstacles devant ceux qui ont lancé ces sociétés. Il a dénoncé de nombreuses procédures qui « sont devenues un prétexte pour décourager ces projets ». Ensuite, il a proposé de permettre à certains d'exploiter les biens publics de l'Etat à des prix symboliques.
Cependant, en dépit de l'enthousiasme de M. Ezzahi et des profondes croyances du président Saïed, force est de constater l'échec cuisant de ce type de sociétés.
La preuve par les chiffres. En près de deux ans, il y a eu création de cent entreprises communautaires qui ont bénéficié d'un appui direct ou indirect de l'Etat, via des financements ou des aides. Un chiffre à comparer avec les sociétés ordinaires (SA, Sarl, Suarl) dont le nombre avoisine les 800.000. D'après les dernières données de l'Institut national de la Statistique (INS), le nombre de sociétés a évolué de quelque 47.072 entreprises, cela sans compter celles qui ont fait faillite et qui ont été soustraites du décompte. En d'autres termes, le nombre de sociétés créées en une année dépasse les cinquante mille unités. Et c'est ce chiffre de cinquante mille par an qui est à comparer avec celui des cent en près de deux ans fièrement présenté par le ministre des Affaires sociales. C'est évident, en mettant les deux chiffres face à face, il n'y a pas lieu de comparer. Le monde de l'entreprise garde les pieds sur terre et évolue naturellement, loin des discours propagandistes du monde politique. Kaïs Saïed a beau présenter ses idées comme novatrices et salvatrices, il est démenti sur le terrain par les acteurs politiques, ceux-là même qu'il prétend sauver.
S'il y a un tel écart entre les discours fantasmagoriques de Kaïs Saïed et celui de la réalité du terrain, c'est parce que le régime a du mal à convaincre de la faisabilité et la pérennité de ses projets. Absence totale de communication, absence totale d'explication sur le fondement de ce type de sociétés, non-implication sérieuse des secteurs bancaire et boursier et des structures d'appui ordinaires de l'Etat (API, capitaux risqueurs, banques publiques). Kaïs Saïed propose des idées disparates et espère, par son seul verbe, convaincre les masses. Pour appuyer ses dires, il a parlé d'expériences similaires dans d'autres pays, mais son régime n'a présenté aucune expérience dans ces pays. Il fait l'impasse totale sur le fait que ce type d'entreprises reste marginal, très marginal, et n'intéresse aucunement le vrai monde de l'entreprise. Plus que tout, et c'est là le fond du problème, Kaïs Saïed zappe une composante essentielle d'une entreprise (et de l'Etat), celle du bénéfice. Quiconque va créer une entreprise va chercher, d'abord et avant tout, le gain. Qu'il soit rapide ou au bout d'un certain nombre d'années (en fonction de la nature de l'entreprise) le promoteur du projet a un seul objectif, faire un retour sur investissement. Or dans les sociétés communautaires, cet aspect du gain est supprimé. On demande aux promoteurs du projet d'être égaux en termes de contribution au projet et on interdit aux actionnaires de posséder plus d'une action dans le capital ! En ce qui concerne le management de la société, le décret de Kaïs Saïed exige que chaque actionnaire ait une seule voix au conseil d'administration lors des prises de décision, quelle que soit la valeur de son apport au capital. Tout le contraire d'une entreprise ordinaire où la majorité des voix revient, généralement, à celui qui a le plus d'apport dans le capital.
Avec autant d'absence de communication pédagogique, autant de restrictions dans la gestion et en l'absence totale de toute perspective de gain potentiel, le projet de sociétés communautaires ne peut, en aucun cas, répondre aux rêves et aux aspirations des jeunes promoteurs. Une entreprise, quelle qu'elle soit, est un rêve porté par un ou un groupe de promoteurs. Ils lui cherchent un financement sur la base d'un business plan et ils prévoient à l'avance le retour sur investissement. On ne peut pas demander à ce promoteur de mettre sur la table son propre rêve pour qu'il le partage avec d'autres avec qui il a une égalité de voix dans la prise de décision et, pour boucler le tour, lui retirer tout espoir de s'enrichir grâce à son projet et son idée. Du coup, le fait qu'il y ait eu cent entreprises créées en près de deux ans semble être un exploit. Pas dans le sens présenté par Malek Zahi, mais parce qu'un tel concept ne peut logiquement pas trouver une seule adhésion d'un vrai entrepreneur digne de ce nom.