En 2019, alors candidat à la course à Carthage, Mohamed Abbou avait clamé qu'il était un homme intègre, insinuant que cette qualité suffisait, à elle seule, à faire de lui un bon président. Ou de n'importe quel autre candidat d'ailleurs. En 2019, Mohamed Abbou – candidat de l'anti-corruption - a été rapidement évincé de la présidentielle avec seulement 3,6% (au premier tour) au profit du candidat Saïed, lui-aussi élu grâce à son intégrité. En 2024, Mohamed Abbou, non proclamé candidat à la présidentielle, a encore une fois évoqué l'argument intégrité. Il a clamé qu'un candidat à la présidentielle devrait être proposé en dehors de la sphère politique nationale, insinuant que la scène politique tunisienne n'avait plus rien à offrir et ne pouvait plus prétendre à générer de nouveaux dirigeants susceptibles d'être élus. Que reste-t-il de la scène politique nationale ? Les dirigeants des principaux partis de l'opposition sont derrière les barreaux. Ceux qui sont – encore – libres, se cachent. Ils semblent craindre de subir le même sort et préfèrent donc faire profil bas. Ceci va des anciens ministres – ou même chefs de gouvernement ou président – à plusieurs anciens candidats à Carthage et hauts dirigeants. « À quoi bon s'exprimer ? » semblent-ils penser.
En Tunisie, la politique - dans sa forme actuelle - a indéniablement échoué. Ceci est un constat basé sur le désintérêt actuel que les Tunisiens ne cachent plus face aux différentes étapes électorales ou politiques en général. Aucun scrutin, aucun événement ne fait réagir. Ce désintérêt de la politique n'est certes pas propre à notre pays. Partout dans le monde, la politique dans sa forme classique, usée et abusée, arrive à ses limites. Elle est non seulement vomie par les nouvelles générations, mais aussi par ceux qui ont vécu les désillusions et en éprouvent une grande amertume. Dans le monde, les partis politiques ont rarement été aussi impopulaires qu'aujourd'hui. En France, par exemple, on parle de « dépassement politique ». Un concept emprunté au jargon écologique et qui est basé sur une volonté des partis politiques de s'élargir, de se réinventer afin de dépasser leur structure actuelle. Si, dans notre époque, les aspirations politiques n'ont jamais été aussi fortes, elles sont souvent accompagnées de désillusions. « Elles sont souvent réprimées par les pouvoirs en place, et cohabitent avec une montée de la demande autoritaire que révèle le succès électoral des partis ''populistes'' », écrit le politologue français Frédéric Sawicki, auteur de « La fin des partis ».
En Tunisie, le populisme vit ces dernières années ses plus beaux jours. En 2019, la montée en puissance du candidat antisystème et populiste Kaïs Saïed a exacerbé l'aversion des Tunisiens des partis politiques. Leur président clamant qu'il finira par faire disparaitre les partis politiques – qu'ils vomissent tant – ils ne pouvaient qu'applaudir. C'est d'ailleurs un peu ce qu'il a réussi à faire en créant un climat d'incertitude et de méfiance, autant pour les citoyens que pour les politiques eux-mêmes. Derrière cette aversion, les dérives de la politique politicienne sont fortement à blâmer : détournement de l'intérêt général, corruption, confiscation du pouvoir aux mains d'une caste, et appauvrissement du citoyen, acculé à observer dans une totale impuissance.
Comment se présentera alors la présidentielle de 2024 ? Mohamed Abbou avait jeté une bouteille à la mer. Celle d'un candidat consensuel de l'opposition qui – idéalement – serait issu de l'extérieur de la sphère politique. Que reste-il aujourd'hui de l'opposition ? Qui pourrait encore se réunir autour d'un même canididat ? Qu'est-ce qui ferait un bon candidat ? Diabolisée et incomprise, la politique a encore de beaux jours devant elle, mais certainement pas dans sa forme actuelle connue de tous. Encore plus en Tunisie, où l'expérience démocratique reste encore jeune et inexpérimentée. En 2019, Kaïs Saïed a bénéficié d'un large plébiscite, en partie grâce au fait qu'il n'avait aucun lien avec la classe politique de l'époque. Il fait tout aujourd'hui pour faire croire que la politique est un concept dont on ne peut rien tirer de bon. Un concept dont on gagnerait à se débarasser. Si elle reste largement perfectible, la politique est une pratique bien plus large que l'idée dont beaucoup se font. Partis politiques, structures classiques et politique politicienne ne sont pas des conditions sine qua non à la définition d'une personnalité politique. Loin de sa connotation péjorative, la définition même d'un/une politique est sujette à interprétation. Les interprétations divergent même, entre partisans et détracteurs, quant à l'inclusion de Kaïs Saïed dans cette même sphère politique.
Les résultats de la présidentielle de 2024 éclairciront les tendances des Tunisiens et nous permettront de répondre à plusieurs de ces questions…