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Avec Kaïs Saïed, où va la Tunisie ? (2)
Publié dans Business News le 13 - 03 - 2024

Pour son opinion sur ce qui se passe actuellement dans le pays, le philosophe Mezri Haddad a choisi de s'exprimer sur un média tunisien et propose, en exclusivité, pour Business News, une longue tribune que nous publions en trois parties, mardi 12, mercredi 13 et jeudi 14 mars 2024.
Du syncrétisme constitutionnel à l'aventurisme constitutionnaliste
Restons dans l'action « fondatrice » du 25 juillet 2021, qui, je le répète, ouvrait deux perspective décisives et antagoniques : soit la démystification de la « révolution » pour reconstruire sur l'authentique et le durable, soit son réenchantement pour déconstruire dans le jusqu'au-boutisme et la logomachie. Bien malheureusement, Kaïs Saïed a dû faire le second choix. Et à partir de ce choix tactique -perpétuer le mythe d'une révolution fallacieuse et télécommandée- devenu pour lui une option stratégique, tout s'est déployé dans une suite implacable. Suspension (que j'ai soutenue) d'un Parlement clochardisé et totalement insoucieux du délabrement du pays ; levée d'immunité pour l'ensemble des « représentants du peuple » (que j'ai approuvé) ; inflexion autoritaire (que j'ai également approuvé), mettant fin au régime semi-présidentiel, qui paralysait l'Etat et qui a été instauré par la satanée Constituante pour laquelle Kaïs Saïed était d'ailleurs favorable dès janvier 2011 ; adoption par referendum d'une nouvelle constitution, mesure dont j'ai d'abord cautionné le principe, avant d'en découvrir, abasourdi et sidéré, le contenu indigeste et leucémique. Nous sommes ainsi passés d'une syncrétie constitutionnelle (2014) à un brouillon constitutionnaliste hilarant (2022) ![1] Je ne m'attarderai pas ici sur les circonstances de sa première rédaction frappée du sceau de l'omniscience, ni sur sa révision sous la plume de l'omnipotence, ni même sur son approbation par moins de 30% de « veaux bons pour l'abattoir », comme aurait dit le général de Gaulle en 1940. Je vais laisser de côté ces péripéties tragi-comiques pour aller à l'essentiel.
Selon le philosophe français Julien Freund, « le problème n'est pas pour un pays de posséder une constitution juridiquement parfaite ni non plus d'être en quête d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable de répondre aux difficultés concrètes, de maintenir l'ordre en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surgissent inévitablement dans toutes sociétés »[2]. En 2011, par mimétisme occidentaliste et pour obéir à la feuille de route du « libérateur » américain, les « révolutionnaires » de la 50ème heure et de la 5ème colonne ont préféré l'abolition de la Constitution du 1er juin 1959, celle des pères fondateurs, pour en proclamer, le 26 janvier 2014, une nouvelle, plus conforme à l'homo tunisicus.[3]
Tout cela pour dire qu'en juillet 2021, il était temps pour Kaïs Saïed de mettre un terme au système politique et constitutionnel qui, paradoxalement, l'a porté au sommet du pouvoir. Il était grand temps à la légitimité de mettre fin à la légalité, de faire du droit contre le droit ! Le 31 décembre 1851, soit quelques semaines après avoir commis son coup d'Etat du 2 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte déclarait : « Je n'étais sorti de la légalité que pour entrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m'absoudre ». Au sujet de l'article 80 invoqué par Kaïs Saïed, je rappelle au passage que son prédécesseur, Béji Caïd Essebsi n'a pas exclu d'en faire usage en cas de besoin. C'était dans son interview sur la chaîne nationale Al Wataniya, le 31 mars 2016, accordée à Soufiane Ben Farhat, Hatem Ben Amara et Boubaker Ben Akacha, lorsque celui-ci lui a posé une question relative à l'article 80 et à laquelle il avait répondu que « si la situation l'exige, je l'utiliserai », ajoutant même que « s'il faut changer la constitution, je n'y vois pas d'inconvénient ». Dernier baroud d'honneur ! Dernier bluff d'un président qui a trahi ses électeurs et qui n'a pas su distinguer le bon grain de l'ivraie !
Calcul électoraliste contre impératif catégorique
Encore aujourd'hui, je ne mettrai pas en cause l'essence du 25 juillet et je ne regrette point de l'avoir qualifié de « sursaut républicain ». Ce que je remets en cause et dénonce en revanche, c'est sa finalité qui s'est avérée autocratique et populiste. A mes yeux, la reprise en main sérieuse et urgente de la situation ne devait pas consister en l'intimidation ou l'emprisonnement des adversaires politiques, de quelque bord qu'ils soient, ou des journalistes et des internautes qui ont cru que la liberté d'expression était un acquis irréversible. L'urgence absolue était au redressement social et économique d'un pays dévasté par dix années d'amateurisme et de népotisme. Il aurait donc fallu constituer un gouvernement d'unité nationale, en impliquant nos jeunes compétences de l'intérieur comme de la diaspora. En rappelant les meilleurs commis de l'Etat pour les remettre à la tâche, y compris certains éminents ministres de Ben Ali, qui ont été sacrifiés sur l'autel de la révolution bouazizienne. En réintégrant certains grands directeurs de l'administration tunisienne, épine dorsale de la République bourguibienne et benalienne. Autant de ressources humaines perdues, autant d'hommes qui ont, pour la plupart d'entre eux, servi l'Etat avec dévouement, professionnalisme et patriotisme. Autant de compétences qui auraient pu et qui auraient dû initier nos jeunes cadres en les préparant à reprendre le flambeau du développement économique et de la bonne gouvernance.
L'urgence, l'impératif catégorique n'était pas au passé, en ostracisant la belle époque (العهد الجميل), ni à l'avenir, en se braquant sur les prochaines élections présidentielles, mais au présent, en regardant les Tunisiens et les Tunisiennes qui font les poubelles pour se nourrir et plus tragiquement encore, les milliers de jeunes candidats au suicide en Méditerranée. Depuis 2011, plus d'un-demi-million de mes compatriotes ont clandestinement quitté la Tunisie, sans compter nos ingénieurs, nos informaticiens, nos pilotes et surtout nos médecins qui se sont expatriés faute du moindre horizon dans le pays qui les a formés au prix de milliards de dinars. Auparavant, nos médecins sortis de nos meilleures facultés tunisiennes, quittaient le pays pour se spécialiser, ensuite y revenir pour dédier leurs vies aux soins de leurs compatriotes. Depuis la déstabilisation de la Tunisie, la plupart de nos jeunes médecins n'ont qu'une seule envie, quitter définitivement leur pays, malgré leur patriotisme. Sur les 1000 jeunes médecins que produit l'université tunisienne annuellement, plus de 80% choisissent de partir vers l'Europe, ce qui n'est pas pour déplaire à nos « amis » occidentaux ! Selon une étude réalisée en 2021 par Kapitalis, « 50% des médecins ont quitté la Tunisie à cause d'un harcèlement professionnel, 62% sont partis à cause de l'insécurité dans les hôpitaux, 75% jugent les conditions de travail inadaptées avec les règles de la bonne pratique, 50% ont quitté le pays à cause de l'instabilité sociopolitique, 30% des médecins qui ont immigré pensent qu'il n'y a plus de solution pour sauver le secteur de la santé »[4].

Casuistique juridique et purges politiciennes
L'urgence n'était donc pas à la neutralisation systématique de tous les candidats potentiels aux élections de 2024, à supposer qu'elles puissent avoir lieu ![5] Considérant que ce fût leur cas -et c'est leur droit le plus élémentaire-, concédant que ce soit une priorité pour le locataire de Carthage de les neutraliser, il aurait été plus loyal de le faire par le débat démocratique et non de l'anticiper par le bras de la justice, qui plus est en accusant certains d'entre eux de « crimes » fantasmagoriques et de délits fantaisistes. Pour avoir plusieurs fois dénoncé leurs turpitudes, ce n'est pas aujourd'hui que je vais les innocenter ou tenter de les blanchir. Je ne défends ici que leur droit de se défendre. Pas plus que d'autres, je ne connais leurs dossiers, encore moins les pièces factuelles ou les preuves tangibles qui les incrimineraient. Dieu Seul sait pourtant si parmi ces prisonniers politiques, certains n'étaient pas pour moi sinon les pires ennemis, du moins de redoutables adversaires. Ce n'est pas le cas de Abir Moussi qui, indépendamment de l'estime que j'ai pour elle depuis son acte héroïque du 2 mars 2011, reste le plus emblématique. D'abord, parce qu'elle a été la seule à affronter les islamistes lorsque tout le monde les convoitait, avant de les trahir. Ensuite, parce qu'il s'agit d'une femme et d'une mère de famille. Enfin, parce que c'est elle, et elle seule, qui a fait bouillir la marmite du 25 juillet sans y gouter par la suite. En d'autres termes, c'est à Abir Moussi que Kaïs Saïed doit le succès populaire avec lequel les Tunisiens ont accueilli son coup d'Etat constitutionnel.
L'emprisonnement des hommes d'affaires n'est pas moins arbitraire. Je ne doute pas que parmi ces naufragés-argentés, certains aient pu commettre des délits de corruption ou fiscaux, voire des crimes financiers. Durant toute la décennie effectivement noire, la corruption n'était plus, comme à l'époque de Bourguiba ou de Ben Ali une exception, c'est-à-dire conforme aux normes occidentales (!), mais elle était devenue la règle, à l'instar de l'Ukraine. Si certains parmi ces naufragés aient pu contrevenir aux lois, la règle en droit est limpide : tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. A l'exception des Etats de non droit ou carrément totalitaires, dans tous les pays du monde, la présomption d'innocence est un principe élémentaire de justice. Nul besoin d'être un éminent juriste comme c'est le cas du président actuel, pour savoir que le processus comme la procédure judiciaires sont tout aussi limpides : enquête préliminaire, réalisée par la police judiciaire sous l'autorité du ministère public pour recueillir les preuves et établir les faits ; instruction préparatoire menée par un juge d'instruction pour approfondir l'enquête, interroger les témoins et les suspects et rassembler toutes les preuves nécessaires ; contrôle de l'instruction, effectué par la chambre d'accusation qui vérifie la régularité de l'instruction et décide si l'affaire doit être renvoyée devant une juridiction de jugement ; jugement de l'affaire soit par la chambre correctionnelle du tribunal de première instance pour les délits, soit par la chambre criminelle du même tribunal pour les crimes ; voies de recours, ouvrant la possibilité de faire appel ou de se pourvoir en cassation pour contester la décision rendue.
Condition sine qua non de ce déroulement : que la Justice soit absolument, effectivement et irréprochablement indépendante. Est-ce le cas en Tunisie dans le contexte actuel où les politiques, les hommes d'affaires, les journalistes… ont le choix entre la soumission, la prison ou l'exil ? Aussi bien dans le cas des prisonniers politiques que dans celui des prisonniers financiers, je n'ai qu'un conseil à donner au président de la République et à sa ministre de la Justice, un conseil que j'emprunte à Paul Lombard, en 1974 : « N'écoutez pas l'opinion publique qui frappe à la porte de cette salle (tribunal). Elle est une prostituée qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car lorsqu'elle rentre par la porte, la justice sort par l'autre » !
[1] Dans mon prochain livre Qu'avez-vous fait de la Tunisie ? je reviendrai plus longuement sur le guêpier constitutionnaliste dans lequel s'est embourbée le pays depuis 2011 et, plus grave encore, sur la magistrature et surtout l'avocature qui a totalement phagocyté la vie politique tunisienne.
[2] Dans sa préface au livre de Carl Schmitt, La notion de politique (suivi de) Théorie du partisan, Paris, éd. Calmann-Lévy, 1972.
[3] Dès 2011, j'avais publiquement pris position pour une réforme de la Constitution de 1959 et contre son abolition, voir mon article, « Du passé, ne faisons pas table rase », La Presse du 28 janvier 2011.
[4] https://kapitalis.com/tunisie/2021/06/17/pourquoi-les-medecins-tunisiens-quittent-ils-leur-pays/

[5] En effet, je n'en suis pas si sûr. Il y a beaucoup de soupçons et d'interrogations, notamment au sujet de la loi électorale émanant structurellement de la Constitution de 2014, qui est caduque ! La question est donc de savoir si on va conserver la loi électorale de 2014, ce que suggèrent les allusions du président lui-même et certains membres de l'ISIE, ou confectionner une nouvelle, en sachant qu'on n'a vu nulle part s'instituer une loi électorale quelques mois avant la tenue des élections en question.

*Docteur en philosophie morale et politique de l'Université de la Sorbonne et ancien Ambassadeur auprès de l'UNESCO.
Dernier essai paru en Tunisie, La face cachée de la révolution tunisienne. 12 ans après le coup d'Etat déguisé, AC Editions, Tunis, 2023.


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