L'élection présidentielle approche, on est approximativement à six mois de l'échéance. Kaïs Saïed a été élu pour un mandat de cinq ans en 2019 et, de ce fait, il devrait quitter le pouvoir en octobre 2024. Les candidats à sa succession auraient pu être nombreux, comme lors des échéances écoulées, mais ce n'est pas vraiment le cas. Plusieurs parmi eux se trouvent en prison ou en exil, suite à des procès montés de toutes pièces par le régime putschiste. Des noms ? Abir Moussi en premier lieu, elle est celle qui avait le plus de chances de succéder à Kaïs Saïed. Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi ou Rached Ghannouchi auraient eu moins de chances de succès qu'elle, si jamais ils s'étaient présentés, mais ils se trouvent eux aussi en prison. Dehors, les candidats potentiels ne sont pas moins nombreux. On peut citer l'ancien président Moncef Marzouki, l'ancien chef du gouvernement Youssef Chahed, l'ancien candidat Nabil Karoui, mais ils se trouvent tous forcés à l'exil depuis le putsch du 25 juillet 2021. Qui reste-t-il alors pour candidater ? Quelques hurluberlus comme Olfa Hamdi qui crie sur tous les toits vouloir briguer la magistrature suprême, alors qu'elle n'a pas lu la Constitution qui le lui interdit, n'ayant pas encore l'âge requis. Il y a aussi le très muet, jadis très bavard, Safi Saïd réputé pour être un barbouze ou, au moins, ayant rendu moult services à des puissances dictatoriales et des mouvements politiques étrangers sulfureux. Il s'est tellement mouillé avec les puissances arabes qu'il a perdu son accent tunisien. En attendant que d'autres candidats se déclarent, et faute d'avoir un baromètre politique mensuel comme autrefois, un candidat émerge du lot et semble avoir des chances sérieuses, tant son historique plaide pour lui, l'ancien ministre et ancien candidat très malheureux (0,74%) à la présidentielle de 2014, Mondher Zenaïdi. Bien entendu, je n'oublie pas, le président Kaïs Saïed sera très probablement candidat à sa propre succession. Il ne s'est pas encore déclaré, mais tous ses agissements montrent qu'il le fera dans les mois, voire les semaines, à venir.
Logiquement, et si nous étions un pays normalement constitué, on aurait un baromètre politique chaque semaine. À six mois de l'échéance, c'est ce que le public politique attend des instituts de sondage. Sauf que ce n'est pas le cas. Nos sondeurs ont peur et préfèrent ne pas faire leur boulot plutôt que de s'exposer au danger du régime putschiste. Du coup, on avance à tâtons pour savoir quelles sont les chances approximatives des différentes personnalités politiques susceptibles de candidater. À ce jour, et toujours dans l'a priori, c'est Mondher Zenaïdi qui a le plus de chances de l'emporter. Il profite, sans aucun doute, du vide qu'a créé Kaïs Saïed sur la scène politique en jetant en prison les uns et en poussant à l'exil les autres. Il ne fait pas de mystère et il a annoncé clairement vouloir rendre l'espoir possible, se positionnant ainsi comme probable candidat à la présidentielle 2024. Mais voilà, comme par miracle, on lui a sorti une affaire montée de toutes pièces. « Il n'a pas encore décollé qu'on cherche déjà à le faire atterrir », titrait Business News en mars dernier. La ficelle était trop grosse et le dossier était grossièrement vide, ce qui a créé une belle polémique. Le régime devait trouver autre chose. 6 avril 2024, à Monastir, le président de la République prononce une petite allocution pour dire qu'il est « inadmissible d'accepter la candidature de ceux qui se jettent dans les bras de l'étranger ». Par élimination, et vu qu'il n'y a personne d'autre, Kaïs Saïed semble viser Mondher Zenaïdi par sa phrase assassine, prononcée au mausolée de Bourguiba, fief des destouriens, famille politique du semi-candidat. Kaïs Saïed ne s'est pas encore déclaré candidat, mais il est là au chevet de Bourguiba pour tenter de séduire ses héritiers légitimes et illégitimes. Il ne s'est pas encore déclaré candidat, mais il est là pour dire qui doit candidater ou pas. Il ne s'est pas encore déclaré candidat, mais il est là pour justifier son putsch, expliquer ses prétendues réalisations (avoir organisé des échéances électorales dans les délais qu'il a lui-même fixées) et parler de son programme d'avenir.
Le discours de Kaïs Saïed ne diffère pas vraiment des discours de Habib Bourguiba quand il se prenait pour le guide suprême et le tuteur des Tunisiens. Il a beau dire qu'il n'y a aucun retour en arrière possible, mais ses propos font reculer la Tunisie aux années 1950-1980. En chassant sur les terres bourguibiennes, Kaïs Saïed adopte la même stratégie qui a réussi à feu Béji Caïd Essebsi. Il occupe même son bureau au palais de Carthage. Ce n'est pas un hasard qu'il a invité Hager Bourguiba, petite fille de l'ancien président, pour s'afficher avec elle en ce 6 avril, coïncidant avec le 24e anniversaire de son décès. Habib Bourguiba a fait énormément de bien à la Tunisie, ceci est indéniable, Business News l'a toujours dit et répété. Mais il n'a pas fait que du bien. En matière de démocratie, de liberté d'expression et de respect de l'opposition, Bourguiba est loin d'avoir été un modèle. C'est à cause de lui (et de son successeur Zine El Abidine Ben Ali) que la scène politique tunisienne est aujourd'hui dramatiquement désertique. Devenir l'héritier de Bourguiba, c'est une bonne chose dans l'absolu, mais à condition de ne pas être l'héritier de son despotisme et de son manque de respect à l'opposition. C'est une bonne chose dans l'absolu, mais à condition de ne pas se prendre pour le tuteur des Tunisiens. Or c'est exactement ce que fait Kaïs Saïed. Il a beau dire respecter l'opposition, force est de constater que l'écrasante majorité de ses opposants sont soit en prison, soit en exil. Il a beau dire que le choix revient au peuple, force est de constater qu'il se prend pour le tuteur de ce peuple en se donnant le droit de dire qui doit candidater et qui ne le doit pas. Le comble c'est quand il dit qu'il est inadmissible d'accepter la candidature de ceux qui se jettent dans les bras de l'étranger. N'est-ce pas lui qui a dressé le tapis rouge devant Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen prenant leurs désirs pour des ordres ? N'est-ce pas lui qui se montre tout petit devant son « ami » Abdelmajid Tebboune ? N'est-ce pas lui qui saute dans le premier avion pour aller présenter ses condoléances aux émirs du Golfe ?
Jusqu'à nouvel ordre, il n'y a rien qui montre ou qui prouve que Mondher Zenaïdi (ou un autre) s'est jeté dans les bras de l'étranger. Quand bien même cela serait vrai, ce n'est pas à Kaïs Saïed de dire qui doit candidater ou pas. C'est au peuple et uniquement au peuple de choisir ses candidats et son président ou sa présidente. Le fait est, aujourd'hui, que Kaïs Saïed a écarté de la course plusieurs candidats. La nature ayant horreur du vide, un autre a émergé. Chercher à l'écarter également revient à dire que Kaïs Saïed ne veut personne dans la course présidentielle. En clair, il a énoncé tout seul les règles de la course (sa constitution), il a nommé tout seul l'arbitre de la course (l'Instance électorale) et maintenant il veut courir tout seul ou, au moins, sans aucun candidat sérieux et sensé face à lui. C'est exactement ce qu'ont fait, avant lui, Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali et le peuple ne veut pas et n'a pas besoin de ce retour en arrière. Prenons au mot Kaïs Saïed, pas de retour en arrière !