Bis repetita au parlement avec les refus de levée d'immunité parlementaire de députés poursuivis par la Justice. Les nouveaux députés ont beau dénigrer leurs prédécesseurs, qualifiés du quolibet de la « décennie noire », ils font exactement comme eux. Les demandes de levée d'immunité parlementaire se succèdent et les refus se multiplient. C'est maintenant devenu clair, rien n'a changé du côté du palais de Bardo. Les députés de la « belle époque de Kaïs Saïed » font preuve du même corporatisme que leurs prédécesseurs de la « décennie noire ». Les mauvaises habitudes ont la vie longue. À ce jour, il y a au minimum quatorze demandes de levée d'immunité et aucune d'elles n'a été approuvée. Les élus estiment que la majorité des accusations formulées ne s'élèvent pas à la hauteur de l'approbation de la levée de l'immunité. La justice attendra. Mais, ce refus de levée d'immunité n'est pas considéré par les élus comme une volonté d'échapper à la justice. Certains se placent même en victimes, d'autres pointent du doigt « des tentatives de salir l'ARP ». Le député et membre du bloc "Pour que le peuple triomphe", Youssef Tarchoun a affirmé aujourd'hui dans une déclaration médiatique que « l'immunité parlementaire ne signifiait pas placer les élus au-dessus de la loi ». « Toutes les demandes de levée d'immunité sont liées à des conflits avec des représentants des autorités locales et à des affaires de corruption… Il y a des accusations infondées », a-t-il dit. La très controversée Fatma Mseddi affirme même qu'on essaye « de la faire taire ». Habituée des publications calomnieuses, elle est aujourd'hui visée par le liberticide décret 54. Un décret dont elle a, pourtant, toujours défendu l'usage, allant même jusqu'à clamer qu'il assainira le climat politique et que son amendement ne pourrait se faire avant la présidentielle.
En attendant, pour que ces demandes de levée d'immunité soient validées, il faudra attendre le vote des élus lors d'une plénière dédiée. Les élus seront donc juge et partie et le corporatisme pourra, encore une fois, permettre aux députés d'échapper aux accusations qui les poursuivent. En effet, il ne faut pas oublier que ceci n'est pas la première fois que le nouveau parlement refuse la levée d'immunité de certains députés. En mars dernier, l'ARP avait tenu une plénière à huis clos à l'issue de laquelle sept demandes de levée d'immunité ont été rejetées. Les affaires concernaient, là aussi, des plaintes liées aux élections, à des conflits avec des responsables locaux et à la diffusion d'informations sur les réseaux.
Alors que de nombreux citoyens, journalistes et leaders d'opinion se retrouvent en prison à cause, justement, de leurs idées, les députés, eux, estiment qu'ils peuvent bénéficier d'un traitement de faveur. Ces demandes de levée d'immunité parlementaire sont, dans bien dans cas, vécues comme une injustice exercée contre des élus qui estiment « avoir tout simplement fait leur travail ». Ce deux poids-deux mesures est assez ironique compte tenu du fait que les politiques, journalistes ou même citoyens ayant tout simplement « fait leur travail » ou « exercé leur droit constitutionnel » n'ont, eux, pas droit à ce traitement de faveur. Le journaliste Mohamed Boughalleb croupit, lui, en prison, condamné à six mois de prison avec exécution immédiate à cause d'une plainte déposée par une fonctionnaire au ministère des Affaires religieuses où il est accusé d'avoir porté atteinte à l'image et à la réputation de cette dernière. Lui aussi ne faisait qu'accomplir son travail en dénonçant une affaire de corruption.
Mais ces refus de levée d'immunité rappellent ironiquement celles de l'ancien parlement longtemps dénigré comme étant « un véritable cirque ». Rappelez-vous des disputes et des bagarres dans la défunte ARP qui avaient, il y a deux ans, justifié sa dissolution et l'invocation de l'article 80 de la constitution par Kaïs Saïed. Plusieurs députés avaient été agressés verbalement et même physiquement, on en citera, entre autres, Abir Moussi, Samia Abbou et Anouar Bechahed. A l'époque, l'ancien parlement, qui faisait face à de nombreuses demandes de levée d'immunité, avait refusé d'en révéler le nombre exact et a décidé de les rejeter en bloc. Profitant de leur immunité parlementaire, les députés – Al Karama en premier lieu – avaient multiplié les agressions et les insultes sous la coupole du Bardo. Le député déchaîné, Seïf Eddine Makhlouf, avait alors invoqué sa « liberté de critiquer, protégée par l'immunité parlementaire ».
Mais, que protège au juste l'immunité parlementaire. La constitution, dans son article 68, dispose : « Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de l'Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé, en raison d'opinions ou de propositions émises ou d'actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires ». Si l'interprétation reste de mise, en l'absence d'une cour constitutionnelle, il y a peu de débat à avoir quant au lien de ces poursuites avec le travail parlementaire. Autrement dit, l'immunité parlementaire n'est applicable que dans le cadre de la mission assignée aux élus. En dehors de l'hémicycle, donc, cette immunité devient obsolète.
Or, certains députés du parlement juillettiste sont concernés par des affaires de corruption et des accusations non directement liées à leur travail parlementaire. Leur immunité reste-t-elle de mise ? Ce refus d'immunité expose au grand jour l'hypocrisie serait-il, aussi, annonciateur d'un bras de fer avec la justice ?