Beaucoup de gens n'ont connu le nom de Ayachi Zammel qu'après l'annonce de l'Isie de la validation de sa candidature à la présidentielle. Il n'est pourtant pas né de la dernière pluie et fait partie des tous premiers politiciens à s'être opposé au coup de force de Kaïs Saïed du 25 juillet 2021. Pour la présidentielle 2024, et au vu de toutes les manigances ciblant les personnalités politiques, au point d'éliminer de la course, d'un coup et en une journée, dix candidats à la présidentielle, on s'attendait à ce que l'instance électorale (Isie) désigne un seul vrai candidat (Kaïs Saïed) et deux comparses. Un peu comme l'on observe dans l'Algérie voisine, dont la présidentielle se déroule en septembre et qui connait actuellement, comme en Tunisie, son lot de polémiques. Pour la présidentielle algérienne, le quotidien français Le Monde titrait dernièrement « En Algérie, un président et deux figurants pour une élection jouée d'avance ». Surprise, en dépit du mauvais tour joué par le ministère de l'Intérieur pour ne pas délivrer l'indispensable bulletin numéro 3 (casier judiciaire) aux candidats et en dépit des condamnations judiciaires à de la prison ferme à l'endroit de candidats, l'instance électorale n'a pas désigné deux figurants aux côtés du président sortant Kaïs Saïed. En validant les candidatures de Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui pour être les adversaires de Kaïs Saïed à la présidentielle du 6 octobre, l'Isie préserve les apparences et maintient l'espoir que le scrutin sera réellement démocratique. À moins d'une mauvaise surprise, d'ici là, et en attendant une très improbable décision du Tribunal administratif validant d'autres candidatures, il y aura donc du suspense et du coude-à-coude entre le populiste Kaïs Saïed, le panarabiste Zouhair Maghzaoui et le progressiste Ayachi Zammel. Aussitôt les noms annoncés par l'Isie que les pages proches ou soutenant Kaïs Saïed ont commencé leurs attaques contre les deux rivaux du président sortant. Pour le cas de Maghzaoui, ces pages rappellent qu'il a fortement soutenu, dans un premier temps, Kaïs Saïed et son coup de force du 25 juillet 2021, avant de retourner sa veste, vu que son parti Achaâb n'a réussi à obtenir aucun portefeuille au gouvernement. Pour le cas de Ayachi Zammel, ces pages essaient de dessiner le portrait d'un opportuniste spécialiste du tourisme politique et parlementaire, prétendument inféodé à l'étranger.
Loin des théories du complot, qui ont de très beaux jours chez les partisans du président, il est important de voir ce que pensent les autres familles politiques des deux rivaux du président sortant. Du côté islamistes, on est en mode « TSS » (tout sauf Saïed). Vu qu'ils sont allergiques à tout ce qui est panarabique (et réciproquement), ils appellent déjà à voter Ayachi Zammel qui, de toute façon, ne saurait être pire que Kaïs Saïed. Même son de cloche du côté des progressistes, opposés à Kaïs Saïed et tout aussi TSS, qui ne voient pas d'un mauvais œil le succès d'un ancien député de Tahya Tounes (parti de l'ancien chef du gouvernement Youssef Chahed) à l'examen de l'Isie. Du côté des Tunisiens qui ne s'intéressent que de loin à la chose politique, on admet connaitre Zouhair Maghzaoui (à la tête de son parti depuis onze ans) et ses positions ambiguës et changeantes par rapport au régime. Son panarabisme séduit quelques-uns, mais fait peur à beaucoup d'autres. On s'interroge cependant sur Ayachi Zammel, son positionnement politique vis-à-vis de Kaïs Saïed et sur les folles rumeurs qui circulent autour de son nom depuis 48 heures. Contrairement à M. Maghzaoui, M. Zammel n'est quasiment pas connu du grand public.
Originaire de Siliana, Ayachi Zammel est un pur produit de l'école tunisienne d'où il a décroché un diplôme d'ingénieur-chimiste délivré par la faculté des sciences de Tunis. Il est, depuis 2007, dans l'industrie et dirige une des entreprises du groupe Ayachi, spécialisée dans le conditionnement des tomates. Sa marque « Safir » fait partie des plus vendues dans le pays. Comme la majorité des Tunisiens, il s'est intéressé à la politique sur le tard et a rejoint le parti Tahya Tounes, transfuge de Nidaa Tounes vainqueur des élections de 2014 et parti du président défunt Béji Caïd Essebsi, dès sa fondation en janvier 2019. En octobre de la même année, M. Zammel est élu sur sa circonscription de Siliana et est resté fidèle à son parti jusqu'au mois de juin 2020. Il a migré depuis vers le Bloc National et ce jusqu'au coup de force présidentiel du 25 juillet 2021. Pendant son court mandat de député, il a été tour à tour membre de la commission du développement régional, membre de la commission de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, membre de la commission des affaires de la femme, de la famille, de l'enfance, de la jeunesse et des personnes âgées et membre de la commission de la santé et des affaires sociales Il a fait preuve de sérieux et d'assiduité. Selon les chiffres de l'observatoire Al Bawsala, Ayachi Zammel était présent à 92,04% des plénières, à 95,83% des commissions permanentes, à 44,44% des commissions spéciales et a une participation aux votes de l'ordre de 79,4%. Concernant ce dernier pourcentage, on rappelle que l'ancien président du parlement Rached Ghannouchi a poussé par ses tricheries et ses violations de la loi, l'opposition à boycotter les votes à plusieurs reprises.
Après le coup de force de Kaïs Saïed et la dissolution du parlement, Ayachi Zammel n'a pas abandonné la politique et ne s'est pas terré chez lui, contrairement à l'écrasante majorité de ses collègues députés. Dans un premier temps, il a appuyé le chef de l'Etat, qualifiant sa décision de « de sage et courageuse défendant la colère du peuple tunisien » en indiquant qu'il appelle aujourd'hui à la dissolution du parlement et l'organisation d'élections législatives anticipées. Il a justifié sa position par le rendement catastrophique et anti-démocratique de l'ancien parlement. C'était le 3 août 2021 sur les ondes de Shems FM. Le 15 septembre, ne voyant pas d'évolution sur la scène politique, il a demandé à rencontrer Kaïs Saïed aux côtés de trois députés (représentant à eux quatre quelque 70 députés) afin de trouver une solution à la crise constitutionnelle actuelle. « Nous sommes prêts à faire tout ce qui est en notre pouvoir afin de ne pas dévier du cadre constitutionnel et démocratique », a-t-il déclaré au micro de Mosaïque FM.
Le 27 juin 2022, Ayachi Zammel annonce sur les ondes de la Radio Nationale, la naissance de son mouvement Azimoun. Un nouveau mouvement politique composé de jeunes dirigeants et composantes de la société civile, mais également des personnes expérimentées moins jeunes, tels que Mustapha Touati, Abderrazek Derbali et le syndicaliste Abdelmajid Sahraoui. Interpellé par le journaliste Hatem Ben Amara sur la position de Azimoun vis-à-vis du 25-Juillet, Ayachi Zammel a avancé que son parti s'opposait à l'autocratie instaurée par le président de la République dans le cadre de son entreprise juilletiste. « La situation actuelle est le fruit d'une politique qui préfère l'allégeance à la compétence », a-t-il indiqué soulignant que cette politique a continué après le 25-Juillet. Cette déclaration hostile lui a valu les affres du régime de Kaïs Saïed, puisqu'il a été mis, aussitôt, sur la liste des personnes interdites de voyage. La police des frontières lui a affirmé qu'il doit présenter un document du tribunal prouvant qu'il ne fait l'objet d'aucune interdiction de voyage. Un tel document n'existe pas, surtout quand on n'est pas interdit de voyage comme il a pu le confirmer après avoir consulté le tribunal et le parquet. Toujours est-il qu'il a été empêché de voyager, en violation totale de ses droits fondamentaux, ce qui l'a poussé à déposer plainte contre le ministre de l'Intérieur de l'époque, Taoufik Charfeddine, ainsi que le directeur de la police des frontières et le commissaire de l'aéroport Tunis-Carthage. C'était en septembre 2022 et, à ce jour, on ignore l'issue de cette plainte.
Depuis, il n'a cessé de dénoncer la poigne de fer du régime, ses violations et son népotisme. Sur Diwan Fm, en décembre 2022, il a par exemple accusé Kaïs Saïed de protéger ses alliés dans un seul but politique, s'interrogeant pourquoi on a pris des mesures contre le maire de Bizerte, alors qu'on continuait à ménager celui de Sfax alors que la ville croulait sous les déchets. En janvier 2023, il a indiqué sur la chaîne TV Attessiaa, que le 25-Juillet aurait pu être une belle opportunité pour la Tunisie (…) sauf que la médiocrité régnait sur la scène politique. En novembre 2023, sur Shems FM, il a expliqué que l'économie du pays pâtit d'un environnement des affaires perturbé par des campagnes de diabolisation des acteurs économiques. En février dernier, sur IFM, il a appelé le président à revoir son entourage et son gouvernement. Le 16 juillet, à l'annonce de sa candidature à la présidentielle durant une conférence de presse, il a présenté son programme qui, sans ambiguïté, veut tourner la page de la politique actuelle de Kaïs Saïed. « Nous devons tourner la page et relever la tête », dit-il en substance.
Les différentes prises de position de Ayachi Zammel prouvent qu'il n'a rien d'un candidat de pacotille, venu meubler le décor d'une parodie d'élection. Il ne peut pas, non plus, être accusé d'opportunisme comme Zouhair Maghzaoui qui a longtemps soutenu Kaïs Saïed avant de se retourner contre lui, quand son parti n'a pas obtenu de place dans le gouvernement. En revanche, on peut lui reprocher d'avoir été (un peu trop) timide s'agissant de la violation des libertés en Tunisie et de l'arrestation injuste et arbitraire de dizaines de personnalités politiques, à commencer par son ami de Tahya Tounes, Mehdi Ben Gharbia. Il a beau dire qu'il foi en l'importance de la presse libre et indépendante, « symbole des sociétés civilisées », pour « renforcer la démocratie », il n'a manifesté concrètement aucun soutien à l'égard des journalistes poursuivis sur la base du décret 54 liberticide. Candidat par défaut par excellence, Ayachi Zammel se trouve aujourd'hui face à l'opportunité historique de brasser large parmi les opposants et les déçus du régime Kaïs Saïed. Il a la capacité de séduire les progressistes, de convaincre les RCDistes et de rassurer les islamistes.