Chaque 13 août, la Tunisie célèbre la Journée nationale de la femme avec un mélange de fierté et de nostalgie, rappelant les réformes audacieuses qui ont marqué l'histoire des droits des femmes dans notre pays. Le Code du statut personnel, promulgué en 1956, reste un symbole puissant de l'engagement de la Tunisie en faveur de l'égalité des sexes. Mais en cette journée symbolique, il est crucial de poser un regard lucide sur la réalité des femmes tunisiennes, une réalité complexe où les inégalités persistent, notamment pour les femmes rurales, souvent laissées pour compte dans les discours officiels. L'égalité des sexes en Tunisie est une valeur fondamentale, inscrite dans les lois et les institutions. Pourtant, cette égalité, dans sa mise en pratique, reste largement inachevée. Si les femmes tunisiennes jouissent de droits légaux qui surpassent ceux de nombreuses autres nations arabes, ces droits ne se traduisent pas toujours en une réalité tangible pour toutes les femmes. L'accès à ces droits est souvent conditionné par des facteurs économiques, géographiques, et culturels qui rendent l'égalité théorique difficile à atteindre. Les femmes rurales représentent une part significative de la population féminine en Tunisie. Elles sont les gardiennes de nos traditions, les piliers de l'économie agricole, et les tisseuses du lien social dans de nombreuses communautés. Cependant, elles sont aussi parmi les plus marginalisées. Loin des centres urbains, elles ont un accès limité aux services essentiels tels que l'éducation, la santé, et la justice. Les taux de scolarisation des filles dans les zones rurales sont encore trop bas, et les mariages précoces, bien que moins courants qu'autrefois, persistent, perpétuant un cycle de pauvreté et de dépendance. Ces femmes rurales, qui travaillent souvent dans le secteur agricole informel, sont également privées de toute protection sociale. Leur contribution à l'économie est sous-évaluée et non rémunérée, ce qui les maintient dans une situation de vulnérabilité économique et sociale. L'absence d'infrastructures adéquates, comme des routes praticables et des centres de santé accessibles, aggrave encore leur isolement. Les traditions jouent un rôle crucial dans la vie des femmes tunisiennes, en particulier dans les zones rurales. Transmises de génération en génération, ces traditions peuvent être une source de force et de cohésion communautaire. Mais, elles peuvent aussi être un fardeau, surtout lorsque ces traditions renforcent des rôles de genre rigides et limitent les opportunités des femmes.
Les femmes âgées, qui ont souvent grandi dans un contexte de patriarcat strict, peuvent parfois résister aux changements sociaux, transmettant à leurs filles et petites-filles des valeurs qui perpétuent l'inégalité. Cependant, ces mêmes traditions peuvent être réinterprétées et transformées pour devenir des leviers d'autonomisation. L'intergénérationnel peut ainsi devenir un espace de dialogue et de changement, où les aînées transmettent leur savoir-faire tout en acceptant les nouvelles idées qui ouvrent la voie à l'émancipation des plus jeunes. L'autonomisation des femmes tunisiennes, et plus spécifiquement des femmes rurales, est crucial pour atteindre une véritable égalité. Cet « empowerment »ne se limite pas à des actions ponctuelles ou à des discours inspirants ; il doit se traduire par des politiques concrètes qui visent à donner aux femmes les moyens de prendre en main leur destin. Cela passe par l'éducation, l'accès à la propriété, la formation professionnelle, et la participation active à la vie politique et économique du pays.
Les initiatives comme les coopératives agricoles gérées par des femmes ou les programmes de microcrédit peuvent jouer un rôle déterminant dans l'autonomisation économique des femmes rurales. Cependant, ces initiatives doivent être soutenues par une volonté politique forte et une infrastructure adéquate pour être réellement efficaces. Dans ce contexte, les centres Amen d'hébergement pour les femmes victimes de violences deviennent des espaces essentiels pour la protection et l'autonomisation des femmes. Ces centres offrent un refuge, mais aussi un soutien psychologique, juridique, et parfois économique aux femmes en danger. Cependant, leur nombre reste insuffisant, et leur accessibilité est limitée, notamment pour les femmes vivant en zones rurales. Il est impératif que ces centres soient étendus et renforcés, pour qu'aucune femme en Tunisie ne soit laissée sans protection. Les centres Amen doivent devenir des points d'ancrage dans un réseau national de soutien aux femmes, particulièrement celles qui vivent dans des conditions de grande vulnérabilité.
La Journée nationale de la Femme en Tunisie ne doit pas être qu'une célébration des victoires passées, mais un appel à l'action pour surmonter les inégalités qui persistent. L'égalité réelle ne sera atteinte que lorsque toutes les femmes, quelles que soient leurs origines, auront accès aux mêmes droits, opportunités, et protections. Les femmes rurales, souvent ignorées dans les politiques publiques, doivent être placées au centre des préoccupations de l'Etat. L'intergénérationnel, loin d'être un simple héritage culturel, doit être utilisé comme un outil d'émancipation, où les traditions sont réinterprétées pour servir la cause de l'égalité. L'Etat, en collaboration avec la société civile et le secteur privé, doit s'engager à promouvoir des politiques qui tiennent compte de la diversité des expériences féminines en Tunisie. Ce n'est qu'en reconnaissant les spécificités de chaque groupe de femmes et en adressant leurs besoins particuliers que nous pourrons espérer bâtir une société plus juste, où l'égalité n'est pas seulement un idéal, mais une réalité vécue par toutes. Ce 13 août, engageons-nous à transformer cette vision en actions concrètes pour un avenir où chaque femme en Tunisie pourra vivre librement et dignement.
* Militante pour les droits des femmes et présidente de FACE Tunisie