Il avait beaucoup circulé aujourd'hui en ce dimanche 15 septembre 2024. Le premier manifeste du président-candidat Kaïs Saïed a de quoi surprendre et déranger. Rédigé sur le registre de la menace, le candidat-Saïed donne déjà le ton de sa campagne. La campagne électorale avait débuté hier dans l'ensemble des régions du pays, timide mais promettant des surprises, dont le manifeste de l'actuel président Kaïs Saïed. Une première version comportant des erreurs (notamment la date du 17 décembre 2017) a fuité en ligne avant qu'une deuxième, signée par le chef de l'Etat et portant le seau de l'instance des élections (Isie), ne soit publiée par l'agence de presse officielle Tap. Le communiqué-manifeste, qui s'adresse aux Tunisiens, commence par une mention des « sang des martyrs » qui ont coulé pour que « vos revendications légitimes » soient réalisées et afin que règnent « l'émancipation, l'indépendance et la souveraineté nationale ». Dans sa déclaration aux Tunisiens, Kaïs Saïed a alerté contre « la noirceur et l'injustice » qui pourraient « régner à nouveau » et contre « les menaces qui viennent d'un étranger qui pense encore qu'il est notre tuteur et qu'il peut mettre en place les formule qui lui conviennent, comme un maître et un professeur et comme si nous étions des enfants qui recevons des leçons et qui manquent d'enseignement ».
Il affirme notamment : « Le temps s'est écoulé après le 14 janvier 2011, et le peuple tunisien n'a pas cessé de démasquer ceux qui prétendaient, devant les caméras, être les pires ennemis, mais qui se sont vite avérés être des alliés. Ceux-là se sont convenus de faire perdurer le système en faisant croire à de faux changements, visibles en apparence, mais inexistants dans les faits. Ils ont maintenu le régime défaillant qui menaçait de s'effondrer, afin que chacun puisse en récolter sa part. Ils ont fait croire au peuple tunisien révolté qu'il s'agissait d'une transition démocratique qui réalisera les objectifs de la révolution. Spoliation des richesses, prolifération de la corruption, évasion illégale de fonds, corruption et assassinats, infiltration organisée dans tous les rouages de l'Etat dans le but de le diviser, ou pire encore, dans le but de le faire exploser. Le peuple n'était pas dupe face à ce qu'ils ont planifié, accompli et commis, et il fallait prendre la décision historique de sauver l'Etat tunisien et de répondre aux revendications des Tunisiens quant à une vie digne, garantissant leurs droits et libertés, afin que nous puissions, main dans la main, mener une guerre de libération nationale, sans retour en arrière. Le 25 juillet 2021 a été qualifié de lent, mais il s'agit d'une patience et non d'un retard avec comme première préoccupation de sauvegarder la paix sociale et de rendre la vie acceptable dans tous les services publics. Il ne serait pas exagéré de dire que chaque pas a été pris dans un champ truffé de mines et d'explosifs, en plus de la découverte de l'implication de plusieurs dans des cercles criminels à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Viendra un jour où de nombreux détails seront révélés au sujet de contrevérités, de collaborations et de trahisons ».
Le président-candidat lance un appel aux citoyens, en leur disant que « les défis sont importants, mais qu'aucun retour en arrière n'est possible ». « Nous n'hésiterons pas à reprendre les institutions publiques de la santé, de l'enseignement, du transport, de la couverture sociale et d'autres qui ont été détériorées au fil des décennies dans le but de les faire complètement avorter », clame Kaïs Saïed. Il ajoute : « L'heure a sonné d'une construction économique nationale et de la reconstitution des institutions publiques après leur assainissement et après l'instauration de nouvelles législations qui permettront à l'Etat de retrouver son rôle social. Parmi les défis, les plus importants sont le droit à un travail digne et stable ».
Le champ lexical employé dans le manifeste est, dans son ensemble, menaçant et alarmiste. On peut lire les termes de « sang qui coule », « fer et feu », « ennemis », « noirceur qui règne », « corrompus », « criminels », « guerre de libération », « « terrorisme », « assassinats », « blanchiment d'argent », « voix propagandistes et vendues », « voleurs de l'argent du peuple », « assainissement du pays »…. Force est de constater que ce vocabulaire ne diffère pas de celui utilisé par Kaïs Saïed dans ses discours présidentiels où il a eu l'habitude de vilipender ses adversaires politiques et de les présenter comme des criminels et des corrompus, vendus à l'étranger.
Dans ce manifeste, Kaïs Saïed va encore plus loin et s'attaque à ceux qui sont sortis manifester vendredi 13 septembre, en affirmant que « plusieurs de ces manifestations qui ont à peine réuni quelques dizaines de personnes, versent des larmes mensongères sur la démocratie […] ceux qui s'accusaient mutuellement, se sont réunis dans les mêmes manifestations qui ont réuni les partisans de la chariâa aux côtés de ceux qui défendent l'homosexualité ». En plus de s'attaquer aux opposants politiques – sortis en masse vendredi critiquer le régime de Kaïs Saïed – le président-candidat a aussi visé les médias, qu'il a qualifiés de « porte-voix corrompus et enragés » et auxquels il a prédit une « disparition naturelle ». « Que se taisent les porte-voix corrompus et enragés que n'avons pas essayé de faire taire, mais qui finiront naturellement par disparaitre et se dissoudre ».
Pour de nombreux observateurs, le message derrière ce manifeste de campagne est clair. Le président-candidat à sa propre réélection a décidé de durcir le ton face à ses détracteurs leur assurant qu'ils sont l'ennemi à abattre et qu'il ne pliera pas. La popularité et les slogans brandis lors de la manifestation du 13 septembre semblent avoir indéniablement attisé la colère du président… Les jours qui nous séparent de la présidentielle du 6 octobre seront certainement remplis de surprises…