Depuis au moins dix jours, on ne parle que d'huile d'olive et de la saison oléicole. Il est vrai que l'huile d'olive tunisienne est d'une bonne qualité et qu'elle est très prisée par les consommateurs dans les pays européens et aux Etats-Unis. D'ailleurs, l'huile d'olive est le produit tunisien le mieux exporté. Rien que pour l'année dernière, les exportations de l'huile d'olive ont rapporté à la Tunisie plus de cinq mille milliards de nos millimes. Cette année, tout semble indiquer que la récolte sera meilleure que l'année dernière aussi bien au niveau de la quantité qu'au niveau de la qualité, ce qui laisse espérer des ressources en devises plus importantes. Tant mieux pour le pays, pour ses finances et pour l'ensemble des Tunisiens excepté ceux qui ont été arrêtés et mis en examen dans l'affaire dite de Henchir Chaâl. Il s'agit de Abdelaziz Makhloufi, l'un des plus grands exportateurs d'huile d'olive tunisienne, de l'ancien ministre de l'Agriculture Samir Taieb ainsi qu'une dizaine de cadres du ministère de l'Agriculture et de l'office des terres domaniales. Tout a commencé par une visite inopinée du président de la République Kaïs Saïed à Henchir Chaâl le 30 octobre dernier. Fidèle à son habitude, le président de la République a multiplié les critiques et les accusations contre les comploteurs et les corrompus qui profitent de la situation désastreuse de l'oliveraie. En vérité, Henchir Chaâl était dans un état lamentable, laissé carrément à l'abandon. Quelques heures seulement après la visite du président, la machine judiciaire, dont on sait tous le degré d'indépendance, s'est mise en marche sans tarder et a interpellé l'homme d'affaires et grand exportateur d'huile d'olive Abdelaziz Makhloufi, puis l'ancien ministre Samir Taieb et une dizaine d'autres hauts fonctionnaires. Sur le plan strictement tactique, la manœuvre politique du président de la République est d'une grande intelligence et d'une terrible efficacité. En se rendant inopinément à Henchir Chaâl, il a totalement détourné l'attention de l'effervescence et de la tension qui secouent les villes de Jebeniana et El Amra. En effet, ces deux villes situées elles aussi dans la région de Sfax connaissent depuis de nombreux mois des tensions en raison de la présence de milliers de migrants clandestins dans la ville ainsi que dans les oliveraies de la région. Cette présence massive a conduit à des frictions entre la population locale et les migrants qui ont atteint parfois des seuils de violence excessive. Les autorités locales et régionales ainsi que les forces de l'ordre semblent s'accommoder de cette situation et ne font rien pour atténuer cette tension. La veille de la visite inopinée du président de la République à l'oliveraie de Chaâl, les habitants de Jebeniana et El Amra se sont rassemblés dans la rue pour crier leur peur, exiger des autorités de garantir leur sécurité et celle de leurs familles, les exhorter à trouver des solutions à cette promiscuité mal encadrée qui risque de dégénérer à tout moment. Au cours de cette manifestation, des slogans hostiles à l'Etat et à ses dirigeants ont été scandés. Seulement, quand bien même la visite présidentielle à Henchir Chaâl a réussi à détourner l'attention de ce qui se passe à Jebeniana et El Amra, ces deux villes continuent de faire partie de la Tunisie. Leurs habitants continuent d'être des Tunisiens à part entière qui ravalent leur colère. La tension qui y règne est bien réelle. Ne pas en parler ou faire semblant de ne pas voir ce que s'y passe ne change rien à la réalité qui, si rien n'est fait, nous explosera au visage un jour ou l'autre.