Après avoir muselé les partis politiques, réduit au silence les syndicats et transformé les médias en relais serviles, le régime se tourne désormais vers son nouvel ennemi : la société civile. Rien de surprenant. Dans une dictature naissante, aucun corps intermédiaire ne doit survivre, car toute forme de contre-pouvoir constitue une menace pour l'autorité absolue. Le mot d'ordre est clair : tous inféodés ou rien. L'offensive est déjà en marche. Elle se manifeste par des restrictions administratives absurdes, des poursuites ciblées, des convocations incessantes, des emprisonnements et même le gel des avoirs de certaines associations. La propagande du régime, fidèle à sa logique destructrice, s'emploie à diaboliser l'ensemble du réseau associatif. Aux yeux des masses manipulées, ces associations deviennent des traîtres, des "agents de l'étranger" au service de sombres agendas. Et pourtant, ironie suprême, ce même régime bénéficie largement de financements étrangers sans jamais s'en offusquer. Qui devrait-on vraiment accuser ? Les associations qui œuvrent pour pallier les manquements de l'Etat ou l'Etat lui-même, incapable de répondre aux besoins fondamentaux de son peuple ?
Ce discours de traîtrise, bien qu'absurde, trouve un écho auprès de populations lobotomisées par un matraquage populiste incessant. Le régime alimente la peur et les instincts les plus bas pour faire accepter l'épuration méthodique de toute forme de résistance. À travers ce lavage de cerveau, le peuple en vient à souhaiter, à son propre détriment, la disparition des derniers bastions de liberté et de solidarité. Cette stratégie n'est pas nouvelle. Dans toutes les dictatures, l'accusation de trahison est l'arme privilégiée contre la société civile. Couplée à la répression brutale et aux campagnes de diffamation, elle vise à isoler les associations de leur base populaire, à rompre le lien qui les unit aux préoccupations réelles des citoyens. Mais cette campagne de dénigrement trahit aussi la peur du régime : la peur que le contrôle lui échappe, la peur que la vérité éclate, la peur que les populations cessent de croire en sa propagande.
Le régime ne s'arrêtera pas là. L'étape suivante sera l'adoption d'une loi restrictive, déjà en préparation, pour étouffer définitivement la société civile. Ce texte, présenté sous des prétextes fallacieux de transparence ou de sécurité, aura un objectif clair : paralyser les associations, limiter leurs actions et leur couper les rares ressources qui leur restent. Cette méthode résonne étrangement avec le passé. Sous Ben Ali, les mêmes accusations et les mêmes tactiques étaient utilisées pour réduire les associations au silence. On prétend qu'il n'y a pas de retour en arrière possible, mais les faits prouvent le contraire. La dictature renaît de ses cendres, nourrie par la peur, la répression et l'effacement méthodique des libertés.
L'exemple des activistes œuvrant pour les droits des migrants est édifiant. Des figures comme Saïdia Mosbah et Sherifa Riahi croupissent aujourd'hui en prison, leur seul "crime" étant d'avoir défendu les droits humains dans un cadre humanitaire. Plus récemment, le président de l'association Enfants de la Lune de Médenine a été placé en garde à vue pour avoir pris en charge des enfants migrants abandonnés. Ces associations, pourtant, comblent les lacunes laissées par un Etat absent ou répressif. Elles offrent des soins, des refuges, un soutien moral et matériel là où l'Etat a failli. En aidant les plus vulnérables, elles posent un acte profondément politique : elles refusent l'effacement de la dignité humaine. Et c'est précisément ce qui dérange le régime.
Dans un régime autoritaire, où la justice est pervertie et les médias réduits au silence, la société civile devient l'ultime rempart. Elle documente les abus, sensibilise les citoyens à leurs droits et incarne une culture de résistance pacifique. Son existence rappelle que, malgré la répression, le pouvoir absolu reste une illusion. Mais le temps presse. Si le régime parvient à imposer son offensive finale contre la société civile, c'est l'ensemble des libertés qui disparaîtra. Les associations, les activistes et les citoyens conscients doivent continuer à résister, coûte que coûte. Parce qu'une société sans contre-pouvoir est une société condamnée à la soumission.