Je m'adresse à nos concitoyens dotés d'un minimum de raison, pour saisir les enjeux et les hauteurs abyssales dans lesquelles nous entraîne le régime. Il est vain de destiner ce message à un pouvoir qui s'est isolé et qui est entré dans une phase d'une incontrôlable et dangereuse fuite en avant. Réprimer pour faire régner la peur, pour que plus personne n'ose s'exprimer ou brandir une opinion, est le but ultime d'un pouvoir qui prépare le terrain à une élection purgée de toute résistance. La messe a été dite : c'est ou la victoire ou périr. Une question de survie, en somme. Et quand il s'agit de survie, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, quitte à tout écraser en commettant les plus honteuses et ineffaçables injustices. Je m'adresse à nos concitoyens qui ont rêvé d'une Tunisie meilleure, qui y ont cru et qui se retrouvent déboussolés, déçus, à bout de souffle. Si durant les dix ans qui ont suivi la révolution, nous avions vu l'espoir se réduire comme peau de chagrin, l'après 25-Juillet a sifflé la fin de l'espoir. En démantelant les quelques acquis pour lesquels des générations de Tunisiens ont lutté, les chantres du nouveau processus nous font rebasculer dans l'arbitraire. Le retour en arrière est bel et bien amorcé et avec, en sus, une retentissante débâcle économique.
Cette semaine, il y avait de l'action du côté des tribunaux. Des avocats, des journalistes, des blogueurs et des activistes de la société civile comparaissaient. Tous, traités comme de vils criminels et menaces à la sécurité nationale, sont traduits pour des paroles qui dérangent ou des actions de solidarité envers les migrants. Mandats de dépôt et peines de prison pleuvaient à la chaine. La fonction judiciaire s'était mise en mode rouleau compresseur en parfaite synergie avec les attentes de l'exécutif. Sonia, Saadia, Sherifa, Houssem, Mourad, Borhen... sont les sacrifices de la semaine sur l'autel du messianique élu. Puis, au milieu de la déferlante injustice, surgit un "J'assume". C'était la réponse de notre confrère Mourad Zeghidi aux questions du juge sur le contenu de ses déclarations médiatiques et ses statuts Facebook. Un mot qui dit tout. Pas une bravade, simplement une affirmation que rien ni personne ne pourra lui arracher sa liberté de pensée et de parole, ni la persécution, ni la prison. C'est un "j'assume" de quelqu'un qui se sait innocent face à une machine qui tente de le broyer et de le bâillonner. Un "j'assume" qui retentit pourtant comme un cri de ralliement. Et puisque ce droit fondamental implique une grande responsabilité, on ne peut qu'assumer avec lui.
J'assume de défendre les libertés contre des forces réactionnaires pesant de tout leur poids pour un verrouillage complet et sans distinction de l'espace public. J'assume m'engager à défendre la liberté d'expression, le droit d'avoir des opinions contraires et de s'opposer à l'injustice. J'assume ma solidarité avec tout ceux qui payent le prix de cette liberté chèrement acquise et qui se retrouvent harcelés, poursuivis et emprisonnés. J'assume combattre la haine et l'ignorance des foules vengeresses obnubilées par les discours officiels, populistes et creux. J'assume de dire que la répression de la liberté d'expression, dans un monde ouvert, est absurde et vaine et ne fera qu'accentuer la crise. J'assume le droit de critiquer, de s'opposer à un pouvoir en perte de raison qui nous mène à la désolation. J'assume de relever que le pouvoir qui mène des représailles revanchardes, profitant de sa position de force, ne diffère en rien de ceux qui l'ont précédé. J'assume de m'élever contre la médiocrité, les idées fascisantes et racistes, contre le complotisme primaire et le populisme méprisable. J'assume d'affirmer que l'échec cuisant dans la gestion des affaires de l'Etat, que l'incapacité à réaliser un progrès économique et social, ne peuvent pas être résolus en forçant les gens au silence. J'assume de dire que le langage de la force et le règne de la peur peuvent marcher un certain moment, mais ne tiendront pas et ne seront que destructeurs pour tous. J'assume et je certifie que l'incompétence, l'ambivalence entre les discours et la pratique, seront tôt ou tard découverts affaiblissant toute crédibilité et faisant que plus personne ne vous croira.
En assumant tout ce que je viens d'écrire, je n'ignore pas que je me mets sous le coup de l'article 24 du décret 54, du Code des télécommunications et que sais-je d'autre. Mais j'assume et c'est volontairement et en toute conscience que je m'expose.