Depuis son lancement par le président de la République, Kaïs Saïed, le processus du 25-Juillet n'a cessé d'alimenter les débats. Ce tournant politique a été à l'origine d'une discorde nationale, mais aussi interne à plusieurs partis politiques et organisations. Parmi ces dernières, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) semble désormais compter parmi les institutions les plus affectées par cette situation. Historiquement perçue comme un symbole de lutte, de militantisme et de patriotisme, l'UGTT a toujours joué un rôle clé dans les grandes étapes de l'histoire de la Tunisie, de la lutte pour l'indépendance à la consolidation de l'Etat social et démocratique. Toutefois, depuis quelques années, le vent a tourné pour ce que l'on considérait naguère comme « la plus grande force du pays ». Le début de la discorde interne remonte à la tenue du congrès extraordinaire de l'UGTT, les 8 et 9 juillet 2021, en pleine période de confinement. Ce congrès a modifié les statuts de l'organisation, permettant à son secrétaire général, Noureddine Taboubi, de briguer un troisième mandat. Une initiative perçue par certains comme un « passage en force », alimentant les accusations d'un possible accord tacite avec le gouvernement de l'époque.
Depuis, la situation s'est détériorée, exacerbée par l'annonce des mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021. Si l'UGTT avait initialement soutenu ces mesures, elle s'est vite trouvée marginalisée, notamment dans les processus décisionnels liés aux réformes économiques et sociales, aux lois de finances et aux négociations avec le FMI. Ces exclusions ont affaibli son influence et généré une grogne interne, qui a culminé avec un sit-in ouvert, débuté le 14 décembre 2024, par cinq membres du bureau exécutif protestant contre la gestion de Noureddine Taboubi. Ce sit-in marque une rupture sans précédent dans l'histoire récente de l'UGTT. Contrairement à ses habitudes de régler ses différends à huis clos, la centrale syndicale expose désormais ses luttes internes au grand jour. Deux blocs s'opposent : celui des dix membres soutenant Noureddine Taboubi, et celui des cinq protestataires, qui demandent la tenue d'un congrès électif extraordinaire ou une accélération du congrès ordinaire. Ces derniers dénoncent une gouvernance jugée autocratique et reprochent à la direction actuelle d'avoir marginalisé les institutions internes de l'UGTT. Leur revendication principale : restaurer la légitimité démocratique au sein de la centrale en adoptant douze recommandations lors d'une réunion régulière du conseil national. La division au sein du bureau exécutif risque de se propager aux autres instances : conseil national, bureaux des fédérations, unions régionales et locales, voire syndicats de base. Chaque affilié devra choisir un camp, une situation qui pourrait rappeler les crises historiques ayant marqué l'UGTT, comme le « jeudi noir » de 1978 ou la fin de l'ère d'Ismail Sahbani en 2000.
Ce contexte pose une question cruciale : quelle sera l'avenir de l'UGTT ? La tenue d'un congrès électif pourrait soit permettre un renouveau démocratique, soit reconduire un bureau exécutif aligné sur le pouvoir en place, transformant ainsi la centrale syndicale en une institution docile, à l'image de l'Utica. À ce stade, l'UGTT doit faire face à un choix décisif : trouver un compromis pour apaiser la crise ou risquer une scission durable. Mais même en cas de consensus temporaire, les tensions pourraient resurgir à tout moment, compromettant davantage son rôle historique de défenseur des droits sociaux et de contre-pouvoir politique. L'avenir de l'UGTT dépendra donc de sa capacité à renouer avec ses principes fondateurs : unité, démocratie interne et indépendance vis-à-vis des pressions extérieures.