Ils étaient de tout-puissants ministres et magistrats ou de gros influenceurs sur les réseaux sociaux qui ont soutenu et/ou exécuté la politique hautement répressive de Kaïs Saïed avant de tomber en disgrâce du jour au lendemain et d'être sujets, à leur tour, à la terrible machine judiciaire aux ordres. Qui sont-ils, qu'ont-ils fait et où sont-ils maintenant ? Sans hommes puissants à son service, Kaïs Saïed n'aurait jamais pu imposer son diktat depuis juillet 2021. Ministres, hauts magistrats ou hauts fonctionnaires se sont donnés corps et âme pour exécuter la politique du chef de l'Etat. Leur loyauté aveugle ne leur a cependant servi à rien. Plusieurs d'entre eux ont été jetés sans ménagement, malgré leurs bons et loyaux services. En tête de liste, on trouve les anciens chefs du gouvernement Najla Bouden et Ahmed Hachani, mais aussi les ministres zélés et profondément inscrits dans la mouvance du 25-Juillet à l'instar de Malek Zahi, Nabil Ammar, Salwa Abassi, Kalthoum Ben Rejeb, Mohamed Ali Ben Rejeb et bien d'autres. Ils sont chez eux et sont redevenus des citoyens ordinaires, loin des projecteurs. Certains parmi eux pourraient être rattrapés par la justice le jour où le régime chutera, mais en attendant, ils mènent une vie « paisible ». Limogeage ou justice : des destins contrastés Ils devraient être contents, car le simple limogeage ingrat s'avère être un moindre mal comparativement au sort réservé à leurs « camarades » qui se trouvent en prison, sous le coup d'instructions judiciaires ou en exil. Dans cette liste malheureuse de serviteurs devenus la cible d'une machine répressive qu'ils ont eux-mêmes participé à créer, on trouve des ministres, des magistrats, des influenceurs et des dizaines de hauts fonctionnaires. Taoufik Charfeddine, ancien ministre de l'Intérieur Il a fait partie des tout premiers serviteurs zélés de Kaïs Saïed et on lui doit beaucoup de scandales. Sans lui, la sordide affaire de complot contre l'Etat n'aurait jamais eu toutes ces proportions ayant conduit à l'arrestation de dizaines de personnalités politiques, encore en prison depuis 22 mois. C'est lui qui a découvert le fameux tunnel menant soi-disant à la résidence de l'ambassadeur de France à La Marsa. Nommé en octobre 2021, il a annoncé sa démission en mars 2023, quoique réellement il ait été limogé. Il est resté longtemps chez lui avant de reprendre dernièrement le chemin du barreau. Il fait l'objet d'une série d'instructions judiciaires, mais il est également la cible de plusieurs pages Facebook réputées proches du pouvoir qui le lynchent régulièrement et le traitent de traître. Nadia Akacha, ancienne cheffe de cabinet Elle aussi a fait partie, pendant longtemps, des serviteurs zélés de Kaïs Saïed et on lui doit, également, quelques scandales. Elle est à l'origine de l'affaire de la soi-disant tentative d'empoisonnement du président de la République en janvier 2021. Nommée en octobre 2019, elle a annoncé sa démission en janvier 2022 (il s'agit d'un limogeage réel) et a rapidement pris le chemin de l'exil, entre la France et les Emirats arabes unis. Elle a vu juste, car elle a fait l'objet de plusieurs instructions judiciaires, juste après, dont certaines liées à un hypothétique complot contre l'Etat. Elle a déjà été condamnée à des peines de prison ferme et elle risque jusqu'à la peine de mort. Ezzedine Chelbi, ancien gouverneur de Ben Arous Si on établit un jour la liste des personnes les plus serviles, il en occuperait sans aucun doute la tête. Nommé en novembre 2021, il a été limogé en septembre 2024, à la veille de la présidentielle. En matière de scandales, il a un bon paquet, dont notamment sa visite inopinée à un bureau de recette de finances et son comportement humiliant et grotesque envers les fonctionnaires, ce qui lui a valu une plainte en justice. Tentant de rester quand même sous les projecteurs après son limogeage, il a mouillé la chemise pour la campagne de Kaïs Saïed. Cela l'immunisera-t-il pour autant ? Le doute est permis, car les instructions judiciaires qui le ciblent poursuivent leur chemin et il a été convoqué plus d'une fois pour des interrogatoires. Certains de ses accusateurs lui prêtent des affaires de concussion, mais il n'y a pas eu de preuves publiques pour étayer leurs dires. Pour le moment.
Kamel Feki, ancien ministre de l'Intérieur Connu pour être un fidèle des fidèles et homme de confiance de Kaïs Saïed, Kamel Feki est sans aucun doute le plus loyal des ministres et celui qui a appliqué au mieux sa politique. Nommé le 30 décembre 2021 gouverneur de Tunis, il a été promu ministre de l'Intérieur le 17 mars 2023. Poste qu'il n'occupe que pendant quatorze mois puisqu'il a été limogé le 25 mai 2024. En matière de scandales, on lui doit l'arrestation musclée à la maison de l'avocat de maîtres Sonia Dahmani et Mehdi Zagrouba. Ce dernier a accusé la police de l'avoir torturé. Théoriquement, Kamel Feki aurait dû reprendre ses fonctions au ministère des Finances où il a été pendant longtemps un haut cadre. On lui a même aménagé un nouveau bureau, à l'avenue Taïeb Mhiri dans les anciens locaux de l'Inlucc, pour célébrer son retour. Vérification faite, il n'est toujours pas revenu à ses anciennes fonctions et passe ses jours chez lui. De quoi vit-il ? On n'a pas d'informations quant à une quelconque poursuite judiciaire à son encontre, pour le moment, mais il devrait rendre des comptes un jour ou l'autre notamment sur les accusations de torture de Me Zagrouba. Thameur Bdida, influenceur et ancien chargé de mission au ministère de la Justice Très actif sur les réseaux sociaux, sa page Facebook compte près de quarante mille abonnés. Il a été parmi les tout premiers soutiens de Kaïs Saïed et sa politique répressive. Il a diffusé des dizaines de vidéos pour injurier l'opposition et les médias hostiles au président de la République. Ses mensonges à leur encontre sont innombrables. Après son limogeage, il a fait un revirement de 180° pour s'attaquer au régime qu'il a longtemps servi et ce, après avoir fui à l'étranger. Ses cibles favorites : le chef de l'Etat et les membres de sa famille, ainsi que Leïla Jaffel, ministre de la Justice, et son époux, qui font l'objet de dizaines de vidéos et de publications quotidiennes. Il s'est autoproclamé porte-parole de l'opposition tunisienne à l'étranger, une organisation mystérieuse totalement inconnue des opposants et des médias. Face au harcèlement incessant, le régime l'a fait traduire en justice et l'a condamné, par contumace, à des dizaines d'années de prison, l'accusant, entre autres, de terrorisme. Makrem Jelassi, ancien conseiller de la ministre de la Justice Magistrat de deuxième classe, il était un des plus proches conseillers de Leïla Jaffel. Les bruits de couloir dans les milieux judiciaires (magistrats et avocats) l'accusent d'avoir concocté toutes les sales affaires montées contre les opposants au régime. Il a démissionné en juillet dernier et a fait l'objet, juste après, d'une instruction judiciaire suivie par un mandat de dépôt. Il est encore en prison et le juge d'instruction a interdit tout traitement médiatique de son affaire. Autres La liste nominative ci-dessus est loin d'être exhaustive. Les serviteurs du régime tombés en disgrâce et connaissant des ennuis judiciaires se compteraient par dizaines. Dans l'impossibilité de les nommer, faute de preuves tangibles, on peut citer le cas d'un ancien procureur zélé de Sousse qui a été limogé de son poste pour être nommé dans un « frigo » à la cour de cassation, malgré ses multiples prestations. Il y a également le cas de l'ancienne numéro deux du ministère de la Justice, l'inspectrice générale, limogée début décembre 2024 et dont on ne connaît pas le sort qui lui est réservé, ni le poste qu'elle occupe désormais. Le cas le plus emblématique du traitement du régime envers ses serviteurs loyaux est cependant le cas de l'ancien juge d'instruction qui a émis des mandats de dépôt contre des dizaines de personnalités politiques dans la célèbre affaire de complot contre l'Etat. Dans les milieux judiciaires et les réseaux sociaux, on dit qu'il s'est enfui vers le Qatar via la Turquie après que son nom a été cité dans l'instruction visant Makrem Jelassi. Information non confirmée, mais elle circule avec insistance et sans aucun démenti, y compris dans les pages proches du régime qui le qualifient de traître. À son tour il serait accusé de complot contre la sûreté de l'Etat. Une machine qui broie ses propres rouages Qu'ils soient impliqués ou non dans des affaires judiciaires, qu'ils soient assignés à résidence ou ayant repris une activité professionnelle normale, on ne connaît aucun cas de serviteur du régime qui a tiré un quelconque dividende de ses services rendus au régime de Kaïs Saïed. Cette apparente ingratitude est reprise à profit par leurs successeurs qui voient en cela l'intégrité totale du président de la République. Pour ces défenseurs et propagandistes, Kaïs Saïed ne ménage personne, y compris ses plus proches, quand il s'agit d'imposer la justice et l'Etat de droit. CQFD. La vérité, et c'est une règle, est que tout régime autoritaire commence par se retourner contre ses propres serviteurs quand il s'agit de survie, voire même de simple intérêt conjoncturel.